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pas en Angleterre que la vie publique ne serait plus considérée que comme un moyen de faire ses affaires privées ; ce n’est pas en Angleterre enfin que la lassitude ou l’indifférence politique deviendrait la cause ou le prétexte des plus déplorables compromis, et que le besoin de s’enrichir ferait dédaigner la grandeur du pays. Aussi voyez, entre les hommes d’état de l’Angleterre, quelle noble rivalité ! voyez, dans le parlement et hors du parlement, quelles belles luttes ! Sir Robert Peel s’occupe-t-il de conserver, ou lord John Russell de gagner le pouvoir à tout prix ? Non : sir Robert Peel, pour accomplir des réformes qu’il croit utiles, s’expose à perdre la majorité ; lord John Russell, pour empêcher ces réformes d’échouer, prête une main secourable au ministère. Et quand il s’agit des affaires étrangères quel accord dans la pensée, lors même qu’il y a désaccord dans le langage ! Quel parti pris parmi les tories, parmi les whigs, comme parmi les radicaux, de défendre contre tous, au besoin même contre l’apathie populaire, l’honneur, la puissance, les grands intérêts de l’Angleterre !

A Dieu ne plaise que je veuille, par cette comparaison, déprécier mon pays ! A plusieurs égards, la France vaut mieux que l’Angleterre, et plus souvent s’est montrée dans le monde capable de sacrifices et de dévouement. Quant aux partis parlementaires, ce n’est pas la faute de l’opposition française si le ministère ne lui a jamais donné l’occasion d’imiter le désintéressement de lord John Russell ; encore avons-nous prouvé, dans deux ou trois circonstances, que, si on voulait bien nous mettre à l’épreuve, notre conduite serait la même. Il n’en est pas moins vrai que les intérêts personnels et égoïstes semblent en ce moment tenir une bien plus grande place en France qu’en Angleterre, et que dans ce pays, d’où jadis partait l’impulsion morale, les parties basses de la nature humaine ont pris un tel ascendant, qu’à peine songe-t-on à les cacher ou à les déguiser. Il n’en est pas moins vrai que le mal augmente chaque jour et qu’on ne sait plus comment en arrêter les progrès. Dans cette situation, il y a tout à la fois plaisir et chagrin à reconnaître qu’ailleurs il existe encore des opinions et des croyances ; il y a plaisir et chagrin à voir un grand peuple dont toutes les pensées ne se concentrent pas dans le désir du gain, et qui se propose quelquefois un autre but que celui d’augmenter son bien-être matériel. Pour qui croit au gouvernement représentatif, l’exemple actuel de l’Angleterre est d’ailleurs plein d’intérêt et d’instruction. La reine, on le sait, penchait en faveur des whigs et n’aimait pas sir Robert Peel. Qui pourtant a aperçu la main de la reine dans la dernière crise ? Qui a entendu parler de son action ou de son influence ? Ultra-protestans et protestans