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modérés ; anglicans, dissidens et catholiques, Anglais, Écossais et Irlandais ; radicaux, whigs et tories ; noblesse, classe moyenne et peuple, il n’est pas une secte religieuse, pas une fraction du territoire, pas un parti, pas une classe de la société qui n’ait pris part au mouvement : paisible et impassible, la couronne seule n’est pas descendue de la haute sphère où la place la constitution du pays. N’y a-t-il pas là, pour ceux qui en France livrent le présent sous prétexte qu’ils désespèrent de l’avenir, un enseignement profond et un reproche sévère ?

En définitive, sir Robert Peel n’est plus aujourd’hui ce qu’il était en 1842, le chef incontesté d’une majorité de cent voix, l’espoir unique d’un parti puissant qui venait de vaincre et que la victoire enivrait. Il est quelque chose de plus : le ministre qui, d’une main vigoureuse, a su briser d’absurdes préjugés et accomplir d’importantes réformes ; le ministre qui, sans oser encore en tirer toutes les conséquences, a proclamé deux grands principes, celui de la liberté commerciale et de la liberté religieuse ; le ministre qui, soit par ce qu’il a fait lui-même, soit par les engagemens qu’il a fait prendre à d’autres, a préparé, sinon consommé, l’incorporation véritable de l’Irlande et de l’Angleterre. Tout cela sans doute, il n’a pu le faire sans quelques contradictions personnelles, sans quelques déchiremens de parti ; mais les contradictions personnelles sont moindres qu’on ne l’a dit, et les déchiremens de parti remontent en réalité jusqu’à une époque éloignée. Sans méconnaître certains torts de sir Robert Peel, on peut donc l’en absoudre, et lui rendre dès aujourd’hui la justice que la postérité lui rendra. Ce n’est point un grand philosophe ; un grand littérateur, même un grand orateur ; c’est un homme d’état dont le bon sens est parfait, dont l’esprit est vigoureux et net, dont le caractère est ferme et persévérant, dont la parole est abondante et lucide. C’est un homme d’état dont la vue n’est peut-être pas très étendue, mais qui voit juste, qui n’a pas beaucoup d’idées à la fois, mais qui tient à celles qu’il a et qui les réalise hardiment. C’est d’ailleurs un homme d’état qui aime sa patrie plus que le ministère, et qui se croirait déshonoré, si par sa faute il la laissait à ses successeurs moins grande et moins puissante qu’il ne l’a reçu. Quand on a de tels sentimens, de telles qualités, on peut tomber dans les combats parlementaires. On tombe du moins avec la conscience d’avoir fait son devoir, et avec la certitude d’occuper une belle place dans l’histoire de son pays.


P. DUVERGIER DE HAURANNE.