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LA MARQUISE

Monsieur, voilà de l’éloquence.

LE COMTE

Non, madame ; je veux dire ceci : que l’amour est immortellement jeune, et que les façons de l’exprimer sont et demeureront éternellement vieilles. Les formes usées, les redites, ces lambeaux de romans qui vous sortent du cœur on ne sait pas pourquoi, tout cet entourage, tout cet attirail, c’est un cortége de vieux chambellans, de vieux diplomates, de vieux ministres, c’est le caquet de l’antichambre d’un roi ; tout cela passe, mais le roi ne meurt pas ; l’amour est mort, vive l’amour !

LA MARQUISE

L’amour ?

LE COMTE

L’amour. Et quand même on ne ferait…

LA MARQUISE

Donnez-moi l’écran qui est là.

LE COMTE

Celui-là ?

LA MARQUISE

Non, celui de taffetas ; voilà votre feu qui m’aveugle.

LE COMTE, donnant l’écran à la marquise.

Quand même on ne ferait que s’imaginer qu’on aime ! Est-ce que ce n’est pas une chose charmante ?

LA MARQUISE

Mais, je vous dis, c’est toujours la même chose.

LE COMTE

Et toujours nouveau, comme dit la chanson. Que voulez-vous donc qu’on invente ? Il faut apparemment qu’on vous aime en hébreu. Cette Vénus qui est là sur votre pendule, c’est aussi toujours la même chose ; en est-elle moins belle, s’il vous plaît ? Si vous ressemblez à votre grand’mère, est-ce que vous en êtes moins jolie ?

LA MARQUISE

Bon, voilà le refrain : jolie. Donnez-moi le coussin qui est près de vous.

LE COMTE, se levant, prenant le coussin et le tenant la main.

Cette Vénus est faite pour être belle, pour être aimée et admirée, cela ne l’ennuie pas du tout. Si le beau corps trouvé à Milo a jamais eu un modèle visant, assurément cette grande gaillarde a eu plus d’amoureux qu’il ne lui