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des anneaux, des pierres précieuses ; c’est là que l’amour vient les choisir, là qu’il les prend et les donne. Non, non, je n’ai plus personne qui m’aime ; le Christ lui-même, le merveilleux enfant, a disparu en même temps que la foi qui le découvrait à nos cœurs.

« Eh bien ! si personne ne songe à moi, je ne m’oublierai pas ; je me ferai un présent, puisque nul ne m’en veut faire. Je prendrai ce bâton de chêne pour quinze sous ; c’est le Christ qui me l’offre. Est-ce un bâton de voyage ? est-ce un bâton de mendiant ? N’importe ! Qu’il me conduise seulement jusqu’au tombeau, et là qu’il se brise, et je dirai en me résignant : Mon cœur, il en est temps, brise-toi aussi !

« Toujours, toujours Paris ! Voici la Seine, voici le Pont-Neuf. Je m’arrête le long du quai, appuyé sur mon bâton. Que cette ville est immense ! Tout autour de moi lumières sur lumières, en haut, en bas ; des maisons, des maisons sans nombre, tout le long du fleuve ! Quelles masses gigantesques au milieu des ténèbres de la nuit ! quel mouvement sans repos dans toutes ces rues !

« Le vertige me prend. C’est là-bas seulement qu’est le repos et le calme, là où l’eau de la Seine, emprisonnée entre ses noires murailles, glisse dans sa route sombre. Je regarde fixement au fond ; des larmes se détachent doucement de mes yeux et tombent enjouant dans les flots, comme le scintillement d’une étoile. Je m’écrie tout en pleurs : Merci, ô Seine Silencieuse ! Emporte-les, emporte ces larmes de l’exilé ! »


Je ne sais si je suis parvenu à rendre le mouvement dramatique de cette promenade nocturne Le texte est plein de beautés originales : il est impossible de ne pas être fortement saisi par cette forme riche et souple, par toutes les ressources de cette langue tantôt familière, naïve, tantôt solennelle et puissante.

Ce n’est pas seulement la France qui a été visitée par le poète ; M. Dingelstedt a vu aussi l’Angleterre, mais il n’y a pas trouvé les émotions fécondes qu’il avait recueillies à Paris dans ses courses mélancoliques. Parmi les pièces datées de Londres, il y en a deux surtout qui ont été sévèrement critiquées en Allemagne : celle qu’il intitule Prostitution est en effet d’une hardiesse par trop vive, et elle devra blesser plus d’un lecteur. Le mérite incontestable de la mise en Scène, la marche rapide de ce petit drame, obtiendront difficilement grace pour la témérité du poète. L’art, je le veux bien, consacre ce qu’il touche ; mais l’art a sa pudeur et ne touche pas volontiers à de certains sujets. On ne serait pas étonné de trouver ces vers entre deux satires de Régnier, entre Jeanne et Macette ; on regrette de les rencontrer chez M. Dingelstedt, non loin des strophes adressées à Uhland, et à côté de la Nuit de Noël. Tels qu’ils sont cependant,