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je les préfère de beaucoup à cette longue série de strophes frivoles qui, sous le titre de Roman, nous racontent une banale aventure, bien peu digne de l’inspiration si distinguée du poète. De ces deux pièces, je pourrais après tout accepter la première, en lui souhaitant une autre place ; je l’accepterais comme la vigoureuse fantaisie d’un esprit hardi et chaste, omnia munda mundis ; la seconde, avec ses prétentions légères, me semble tout-à-fait sans excuse.

Il est temps que le poète revoie enfin sa patrie. Cette dernière partie du livre n’est pas la moins heureuse. Le voyageur rentre à son foyer, instruit par l’expérience, le cœur apaisé, l’ame plus forte. C’est le soir tranquille et doux : d’un jour troublé ; entre les matinées insouciantes qui ouvrent le volume et cette soirée grave et sereine, il y a eu les journées tumultueuses. Cependant la paix est revenue dans la nature, et le chant du poète s’élèv e, toujours ému, mais plus maître de lui, dans la pureté des heures calmes. Ne croyez pas d’ailleurs qu’il renonce à la vivacité de sa pensée, à la franchise de son cœur. Ce qu’il conserve surtout avec soin, c’est ce feu de la poésie, cet enthousiasme du beau qui s’éteint si souvent, en Allemagne, devant les bourgeoises préoccupations de la vie. Chez nos voisins, tout le monde est poète à vingt ans, à l’université ; attendez seulement cinq ou six années pour connaître les fortes vocations et les talens durables. Un jour, comme il revenait dans son pays, M. Dingelstedt, traversant la Hollande, rencontre le Rhin, ce Rhin si cher aux poètes, si beau, si grand, de Bingen à Coblentz ; mais est-ce bien le Rhin qu’il a vu ? Un plaisant souvenir lui revient à l’esprit :


« J’avais un ami à l’université, un vaillant compagnon, joyeux, richement doué, une des plus vigoureuses plantes sorties des sillons de l’alma mater. Dans tout le corps des étudians, c’était mon ami le plus cher. Hélas ! c’est aussi le premier que m’enlevèrent ces damnés Philistins.

« Pendant long-temps, je n’eus de lui aucune nouvelle. Après quelques années, je le revis. Quel homme il était devenu, lui, ce joyeux compagnon ! Un gros personnage à tête chauve, qui portait des lunettes, prisait, jouait au whist… Est-ce tout ? Non, il était pasteur de campagne, et dans la Hesse électorale !

« Mon pauvre Frédéric, je me suis souvenu de toi aujourd’hui, quand on m’a dit : Voici le Rhin ! — Le Rhin ! est-ce possible ? le Rhin ! celui qui a frayé sa route à travers les Alpes, celui qui s’est bercé sur la sombre poitrine de Lurlei, celui qui a joué avec les sept montagnes… »


Celui qui a écrit ces vers nous a donné de lui-même un garant qui ne nous trompera pas. M. Dhingelstedt, on peut en être sûr, ne désertera