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africaines ont pu croire que le ciel ne le protégeait plus, mais cet instant fut court, grace à la faiblesse de notre diplomatie. C’était sur le sort à faire à l’émir que devaient porter nos exigences envers Abderrhaman. Après Isly, le général en chef ne demandait pas la tête d’Abd-el-Kader, mais il voulait exiger l’internement de l’émir dans une province déterminée de l’empire du Maroc. On sait que le maréchal Bugeaud n’a pas eu la faculté de stipuler lui-même les conditions qui lui paraissaient les plus nécessaires et les plus sûres. Ce fut là une grande faute, et il n’y a pas un officier de l’armée d’Afrique qui n’en ait prévu les tristes conséquences pour l’avenir. N’en avons-nous pas la preuve dans la lettre du colonel Montagnac ? C’est le cri d’un soldat qu’on ne saurait accuser d’avoir voulu flatter tel ou tel parti. Ceux à qui ces loyales et intimes confidences n’ont inspiré que d’assez tristes plaisanteries auraient dû se rappeler que l’avis du soldat était aussi celui d’hommes dont la modération et la pénétration politiques ne sont pas douteuses. Oui, les accens de vérité qui nous sont parvenus à travers une tombe glorieuse sont d’accord avec les jugemens portés à la tribune. Dans la session dernière, que reprochait au cabinet un des membres de la commission de l’adresse, M. Saint-Marc Girardin ? Il blâmait surtout le ministère d’avoir ôté la négociation au maréchal Bugeaud pour la transporter tout entière à Tanger. Il insistait sur l’ascendant qu’aurait nécessairement exercé sur Abderrhaman le vainqueur d’Isly. Il soutenait qu’avec le maréchal Bugeaud pour négociateur, on aurait obtenu d’autres conditions, enfin de véritables garanties. À qui l’évènement donne-t-il raison ? Aux apologistes sans restriction du traité de Tanger, ou à ceux qui, dans l’une et l’autre chambre, ont regretté que la victoire n’ait pas été mise à profit avec une fermeté plus politique ?

Qu’arrive-t-il ? Ce qu’on a mal fait, il faut le refaire. Le cabinet se trouve peut-être aujourd’hui engagé dans une guerre plus difficile et plus longue que celle qui l’a si fort occupé l’an dernier. Il est dominé par des évènemens qu’il n’a su ni prévoir, ni détourner. Certes, il y a quelques années, on eût fort étonné M. le ministre des affaires étrangères, si on lui eût annoncé que sous son administration nous aurions la guerre en Afrique sur la plus vaste échelle. Des trois ministres qui, depuis huit ans, ont dirigé la politique extérieure, M. Guizot est assurément le moins africain. Dans le ministère du 6 septembre, M. le comte Molé défendait la question d’Afrique contre M. Guizot, qui avait pour elle peu de sympathie ; M. Guizot n’a été converti que fort tard à la nécessité de pousser vigoureusement la conquête africaine ; peut-être même aujourd’hui est-il plus entraîné que convaincu.

Ne pourrait-on pas avoir le même soupçon dans l’affaire de Buenos-Ayres ? Les discours prononcés par M. Guizot à la tribune ne nous avaient pas préparés à une intervention active de la France sur les rives de la Plata. L’an dernier, M. Guizot, répondant M. Thiers, disait que, pour intervenir, il fallait de grandes raisons d’intérêt national, qu’on avait déjà fait l’expérience d’une guerre sur les rives de la Plata, que c’était chose grave que de s’engager dans une nouvelle lutte pour une cause qui n’était plus celle de la