Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/520

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France. M. le ministre des affaires étrangères s’autorisait de l’exemple de l’Angleterre, qui avait recommandé la neutralité à ses agens, et il assurait que c’était pour n’avoir pas assez observé cette neutralité que le commodore Purvis avait été rappelé par son gouvernement. Cependant aujourd’hui nous intervenons : que s’est-il donc passé ? Pourquoi ici encore M. Guizot change-t-il de politique ? Ce changement ne serait-il pas une conséquence des modifications que l’Angleterre vient d’apporter à sa manière d’envisager les affaires de la Plata ? Peut-être est-on trop enclin à se représenter le gouvernement britannique comme portant dans sa politique extérieure quelque chose de systématique et d’absolu qui ne fléchit jamais. La conduite de nos voisins est moins hautaine et plus avisée si leur but est toujours le même, leurs procédés varient. Quand le commerce anglais croit avoir besoin des démonstrations actives de son gouvernement, il le pousse, et toujours celui-ci tient un grand compte du blâme ou des désirs exprimés par la Cité de Londres. Dans ces derniers temps, le cabinet britannique a renoncé à son système de neutralité envers Buenos-Ayres et Montévidéo. Les plaintes du commerce de Liverpool sur le traitement fait à la Sultana et sur les obstacles apportés à la navigation dans la rivière de la Plata ont été prises en considération par le cabinet, d’autant plus que le temps n’a pas laissé que d’apporter des modifications sensibles à la situation respective des intérêts anglais et français dans cette partie de l’Amérique. En ce moment, le commerce anglais a de grands intérêts à Montévidéo, et d’un autre côté il y a beaucoup de Français à Buenos-Ayres. L’Angleterre s’est déterminée à une intervention qu’elle a proposé à la France de partager ; elle savait qu’elle n’avait pas à craindre un refus, et elle ne s’est pas trompée.

Les mêmes circonstances qui ont déterminé l’Angleterre étaient-elles également décisives pour la France ? Voit-on clairement aujourd’hui les grandes raisons d’intérêt national dont M. Guizot proclamait à la tribune la nécessité en matière d’intervention ? Nous ne tranchons pas la question ; nous la posons. Nous voulons surtout remarquer qu’après avoir long-temps refusé I’intervention, le cabinet paraît s’y être déterminé sur les ouvertures de l’Angleterre. Il est permis aussi de s’enquérir si, en prenant une résolution aussi grave, le ministère a pris soin de rassembler sur les rives de la Plata des forces suffisantes pour ne pas laisser la France inférieure à l’Angleterre dans une œuvre entreprise en commun. Il importe de jeter dans la balance le même poids que la puissance anglaise ; autrement, quand viendra le moment de recueillir les fruits d’une action exercée de concert, nous serions condamnés à une inégalité aussi injurieuse pour notre amour-propre que funeste à nos intérêts.

Rosas n’est pas d’ailleurs un adversaire méprisable, et il est de l’honneur de l’Europe que les démonstrations de l’Angleterre et de la France contre le hardi gaucho ne restent pas sans efficacité. Il est dans le caractère de Rosas d’envisager la lutte qu’on semble lui proposer comme une heureuse occasion d’accroître sa puissance et d’illustrer son nom. On lui prête déjà l’intention d’assembler le peuple de Buenos-Ayres sur la place publique, pour lui de-