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ficaces[1]. Ce qui se passe en Orient dans les temps d’épidémie suffit pour mettre sur la voie de cette conclusion. Les classes misérables y sont toujours le plus maltraitées par le fléau, qui recule au contraire devant le bien-être et l’aisance. Cette observation, faite à Alexandrie en 1834, a pu être confirmée à Smyrne, trois ans plus tard, lors de l’épidémie de 1837 ; entre les juifs, par exemple, qui vivent misérablement, et les Européens, qui ont une existence comfortable, la différence de mortalité a été énorme. Ce fait n’amène-il pas à penser que, si le bien-être particulier garantit les individus, le bien-être général doit garantir les nations ?

On a fait en Orient une autre observation fort remarquable. La peste (quand peste il y a) apparaît toujours dans tel mois, et finit dans tel autre, presque à jour fixe. Les époques varient selon les pays, c’est-à-dire selon les latitudes : à Alexandrie, l’épidémie sévit de novembre à juin ; au Caire, de février à juin ; à Constantinople, de juillet à janvier. Ce n’est pas tout : la position du pays, la stagnation des eaux, la mauvaise culture, modifient l’intensité de la maladie. Enfin il est constant que, malgré de nombreuses communications entre l’Égypte, la Nubie et l’Arabie, l’épidémie, qui désole le premier de ces pays, ne s’est jamais montrée dans les deux autres. La peste est donc soumise à des influences atmosphériques qui la produisent ou la repoussent. Il en a toujours été de même, et, si nous consultons l’histoire des pays ravagés par le fléau, nous verrons que la date des épidémies correspond, presque partout, à des époques de misère et d’ignorance ou d’incurie, tandis que la disparition de la maladie est annoncée par le retour de l’aisance, de la civilisation et du bien-être. Ainsi, la peste, qui avait dévasté l’Égypte durant la période de prospérité comprise entre l’an 1491 avant Jésus-Christ et le IIIe siècle de notre ère, y reparut vers l’époque où l’on cessa la pratique des embaumemens, et depuis elle y est restée en permanence.

La France a eu cinquante-huit fois la peste. Si l’on remonte vers l’antiquité, on trouve avec étonnement que, jusqu’au VIe siècle, les historiens ne font mention d’aucune peste dans les Gaules, sauf une seule qui éclata, quarante-neuf ans avant Jésus-Christ, à Marseille, au moment où César l’assiégeait. Encore, d’après la description de

  1. On a beaucoup écrit sur cette matière à toutes les époques et dans toutes les langues. Parmi les auteurs qui s’en sont occupés, je dois citer M. Aubert-Roche, De la Prophylaxie générale de la peste, 1843. — Frari, Della Peste e della Administratione, Venise, 1840. — Pariset, Causes de la peste. -Epidemiologia espanola, A Madrid, 1803. — Relation historique de la peste de Marseille, Amsterdam, 1769. — Papou, De la Peste.- Neuf années à Constantinople, par M. Brayer. — Histoire des lazarets de Gênes, par Auteromaria.