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la piété de quelques protestans, saintes ames à qui je devais mille bienfaits : Emmerique avait abondé dans mon sens ; tout à coup elle s’endort. À peine ses yeux sont-ils fermés qu’elle m’attire par le bras : « Sors de cette allée glissante et déserte, murmura-t-elle, où les fleurs tombent incessamment sans rien, produire, et dirige-toi vers ce pommier chargé de fruits où des anges sont assis. » — Elle tenait les juifs en grande compassion, les regardant tous comme fermés à la grace ; pour les luthériens, au contraire, elle admettait des exceptions. Lorsque Stolberg mourut, elle vit Luther non point dans les flammes, mais se démenant et grimaçant comme un possédé. Autour de lui s’agitait une multitude furieuse qui le maudissait et lui montrait les poings. « Je n’ai jamais vu de spectre, disait un jour Clément à Kerner, mais que j’en aie entendu, cela je puis l’affirmer. » — Quand la mère d’Emmerique mourut, sa petite sœur, enfant débile et malade, en reçut un contre-coup terrible, et chaque soir, lorsque nous étions retirés tous les trois dans la chambre, une voix semblable à la voix de la défunte s’élevait, appelant la petite et prononçant distinctement le nom de Marie. C’était à faire dresser les cheveux sur la tête. » Puis il ajoutait : « La fin de sœur Emmerique fut pénible ; toutes ces saintes natures ont de la difficulté à mourir. Un instant avant de rendre l’aine, elle s’accusa d’être la plus grande pécheresse, se recommanda à la miséricorde de Jésus, et alors seulement elle put mourir. Elle était si bonne, son visage parfois rayonnait comme d’une auréole, et je lui dois d’avoir appris que la sainteté seule est belle. » Tout en causant ainsi, les larmes lui venaient aux yeux, et il finissait en s’écriant : « J’ai le désespoir dans le cœur quand je songe combien je suis indigne de parler de choses semblables. »

En racontant les extases de la bonne sœur, nous allions oublier de dire qu’elle avait coutume de rapporter de ses pèlerinages quotidiens aux campagnes du paradis des albums entiers de figures et de paysages que le Murillo de l’école moderne de Dusseldorf, le mystique Steinle, n’a pas dédaigné de reproduire trait pour trait dans les dessins qui servent d’illustrations à l’histoire de la nonne de Dülmen. L’ame d’Emmerique allait aussi en rêve visiter Marie-Antoinette dans son cachot, mais sans savoir qui elle était. Plus tard seulement, la nonne, apercevant un portrait de la reine, reconnut, en lui la pieuse dame avec laquelle elle s’était mise tant de fois en communauté de prière. Par occasion, il prenait fantaisie à la nonne de pousser jusqu’à l’Himalaya ses promenades somnambulantes, et de ces pérégrinations, bien qu’elles ne s’effectuassent qu’en songe, elle revenait la plupart du temps avec des ampoules aux pieds ; son guide surnaturel planait devant elle, l’encourageant lorsque les forces lui manquaient.

Avant sœur Emmerique, une autre passion de Brentano avait été la Günderode, celle dont la fantasque Bettina devait plus tard si ingénieusement broder l’histoire. Chose étrange, le poignard qui servit à l’infortunée Caroline pour consommer son suicide, ce fut Brentano qui le lui, donna ; ce fut