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lui encore qui la mit en relation avec l’homme auquel il était réservé d’exercer une si fatale influence sur sa destinée. « Sans moi, dit Brentano, elle serait morte protestante ; c’était une douce nature, ajoute-t-il, faite pour le recueillement et la prière. »

Il lisait à merveille, d’une voix profonde et sonore. Kerner le comparait à Lenau, le lyrique souabe, mais pour l’originalité seulement, car chacun avait sa manière, qui lui était propre. Tieck, dont nous parlions dernièrement, complétait ce trio ; mais, avec Tieck, on sent peut-être un peu le virtuose ; chez Lenau, c’est la voix qui vous enchante, une sorte de musique éolienne qui rappelle le son des harpes. Quand Brentano lisait, l’atmosphère devenait aussitôt fantastique. Vous eussiez dit qu’il rêvait. Ces lectures de Clément Brentano ont laissé à Weinsberg, dans la poétique retraite du bon Berner, de merveilleux souvenirs, qui ne s’effaceront jamais. Une femme d’esprit en a même recueilli, pour les livrer au public, les plus saisissantes impressions. On aurait souhaité alors d’être tout oreille, écrit Mme Emma de Niendorf dans son agréable petit volume de réminiscences. Votre ame altérée s’abreuvait de cette musique d’idées ; on se serait cru dans un de ces bois enchantés où circulent des voix d’une douceur ineffable, mais si tristes, si divinement tristes, qu’on voudrait mourir en les écoutant. Rien de profane ; du commencement à la fin, le mystère ne se démentait pas ; c’était comme si vous eussiez regardé à travers une fente sombre dans je ne sais quelle mine remplie d’éblouissantes émeraudes, dans je ne sais quel féerique jardin caché au fond des sacrés abîmes de la terre ; vous eussiez dit plutôt ces îles de fleurs au sein de la neige immaculée, s’épanouissant, calice contre calice, dans la solitude des glaciers ; ces virginales fleurs des Alpes, dont la mélodie, parfum et couleur, n’appartient qu’au ciel, et qui, seulement comprises de lui, s’exhalent comme dans la solitude d’un cloître du sein de ces éternelles cathédrales faites de glace et de granit. »

Un soir qu’ils étaient réunis autour de la lampe de famille, la conversation vint à rouler sur la Günderode. Le sujet plaisait au petit cercle, et, de temps en temps, on aimait à le reprendre. Brentano, qui avait rimé ce jour-là, tira de sa poche un court poème à la mémoire de son amie, une sorte de pièce allégorique dont je regrette de ne pouvoir donner ici que l’esquisse. Je doute d’ailleurs que le texte original en ait jamais été publié. C’est un dialogue romantique entre le pèlerin (Clément) et l’enfant (Caroline de Günderode). — Vous assistez d’abord au paisible développement de l’enfance, à ces charmans ébats du dimanche lorsqu’on vient visiter les grands parens. Quelle joie alors de courir sur les meubles, de chiffonner les rideaux, d’éparpiller dans tous les coins les mille pierres du cabinet de minéralogie) En ces folles équipées auxquelles la petite sœur s’associe, la peur des araignées est à peu près la seule préoccupation qui trouble notre espiègle. Bientôt viennent d’autres jeux. Sous la coupole azurée du ciel d’Orient, l’Alhambra nous révèle ses prodiges. Là, parmi les créneaux dentelés, à travers des forêts de sveltes colonnes