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Luxembourg ont ému le public. Il y a vu la preuve que le cabinet répand l’irritation dans les esprits les plus paisibles, et qu’il n’exerce pas une influence sérieuse sur les débats des chambres. Comment les convenances seraient-elles toujours respectées dans la discussion, lorsque les ministres eux-mêmes donnent l’exemple des personnalités les plus offensantes ? Que dire du langage tenu par le maréchal Soult au général Cubières ? Est-ce ainsi qu’un président du conseil, un ministre de la guepye, apostrophe en pleine tribune un pair de France ? Déjà M. Guizot, en destituant M. de Saint-Priest, avait montré à la pairie comment il comprenait l’indépendance parlementaire de chacun de ses membres ; M. le ministre de la guerre, en gourmandant M. de Cubières, a montré comment il comprend leur dignité. La destitution de M. le comte de Saint-Priest devait naturellement amener quelques explications. M. Guizot, interpellé sur ce sujet, a reproduit sa théorie des dissentimens partiels et des dissentimens généraux, et il a ajouté : Si M. de Saint-Priest a exprimé un dissentiment partiel, j’ai eu tort de le destituer. L’honorable pair, ainsi sollicité de se rétracter, n’a pas voulu donner cette satisfaction à M. Guizot. Loin de chercher à se justifier, il a exprimé nettement son opposition par de généreuses paroles, qui ont vivement impressionné la chambre.

A part ces incidens dont nous avons parlé, la discussion du Luxembourg a constamment excité le plus vif intérêt. Un discours de M. de Montalembert a été très favorablement accueilli. L’honorable pair, mettant de côté cette fois les luttes religieuses, a caractérisé de la manière la plus piquante les fautes du cabinet. Cette excursion sur le domaine de la politique temporelle lui a pleinement réussi. Le mandement de M. de Bonald et la déclaration d’abus prononcée sur l’avis du conseil d’état ont inspiré à M. Portalis de graves paroles, que le clergé fera bien de méditer. Enfin, après trois séances, les fonds secrets ont été votés, et, ce qui ne s’était jamais vu au Luxembourg depuis la révolution de juillet, sur 155 votans, 44 boules noires ont refusé leur confiance au cabinet. Il y a deux mois, la minorité, sur 182, était de 39 ; elle est aujourd’hui de 44 sur 155. Tels sont les progrès du ministère dans l’opinion. Désormais, l’opposition de la chambre des pairs doit être comptée comme un élément sérieux dans la crise ministérielle qui occupe les esprits. Une minorité de 44 voix, dans une chambre presque entièrement nommée par la couronne, est le symptôme d’un grand ébranlement dans le pays. Et quels sont les hommes qui marchent à la tête de cette minorité ? Un homme d’état désigné par l’opinion pour relever le drapeau d’une politique ferme et conciliante, d’anciens ministres que l’estime publique environne, des noms illustres, des capacités éprouvées. On assure que ces dispositions menaçantes de la pairie ont vivement troublé le cabinet. Elles ont dû influer sur la résolution qu’il a prise tout récemment de faire ajourner la discussion de la loi des colonies. Le ministère craint un échec dans cette discussion. Le voilà donc paralysé au Luxembourg comme au palais Bourbon.