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peintre, d’un poète ou d’un musicien connu de toute l’Europe, et de ne trouver pour vous répondre que des gens qui s’étonnent et font mine de croire que vous vous moquez d’eux ? L’épreuve dont je parle nous attendait à Dresde à propos de Retsch, et je me rappelai malgré moi l’histoire de cet étranger qui demandait à Francfort la maison de Goethe : « Il faut que ce soit quelque banqueroutier d’il y a cinquante ans, observa un bourgeois du Hirschgraben, car je n’ai jamais entendu parler de lui. »

Retsch habite une petite maison dans la Neustadt, derrière le palais Japonais. Dès que nous nous fûmes annoncés, il vint à nous d’un air cordial et nous fit le meilleur accueil. C’est un petit homme dans la force de l’âge, d’une constitution robuste, et qui porte dans ses yeux toute la verve humoristique de ses dessins. Il nous conduisit dans son atelier et nous montra les divers ouvrages qu’il avait en train. Je ne connaissais jusque-là de Retsch que ses dessins au trait, et j’avoue que sa peinture à l’huile m’intéressa vivement. Je remarquai, entre autres tableaux de sainteté et de genre, une madone à l’enfant Jésus à peine achevée, et qui ne me parut point indigne de prétendre aux honneurs de la galerie de Dresde ; mais ce qui nous frappa tout d’abord fut une toile représentant Wilhelm Meister écoutant d’un air mélancolique la divine chanson de Mignon, assis au pied de son lit : Dahin ! dahin ! — Tout en causant, nous passâmes de l’atelier du peintre dans le cabinet du graveur, et Retsch nous mit au courant de ses nouvelles productions dans un genre qui a fait sa gloire ; c’étaient des dessins pour la Lenore de Bürger et pour cette autre adorable sœur jumelle que le poète de Goettingen a donnée à Lenore, et qui se nomme la Fille dit Pasteur de Taubenheim. Quand nous eûmes tout parcouru, Retsch alla chercher son album, l’une des curiosités du pays. J’avoue que cette fois mon attente fut trompée. Je m’étais imaginé l’album de Retsch quelque chose d’extravagant, j’avais rêvé je ne sais quoi de bizarre et de fou, comme ces incroyables fantaisies que ce diable d’Hoffmann jetait sur le papier à ses heures d’ivresse et de génie. Rien de tout cela. Ici l’Allemand pieux apparaît tout entier. Chaque feuillet de cet album contient une allusion aux joies de la vie domestique ; çà et là de saintes pensées se font jour sous la forme d’un Christ entouré de petits enfans, d’une halte dans la fuite au désert, et de loin en loin cependant vous vous retrouvez comme par enchantement au sein de ces royaumes féeriques dont son crayon excelle à vous raconter les légendes. De ce nombre est la page représentant l’humanité sur le sphinx, et surtout cette