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dirigées par les peuples modernes vers cette partie du continent africain datent de la moitié du XIVe siècle. « Ces expéditions furent entreprises par des Français, habitans de Dieppe, et non, comme on l’a cru long-temps, par des Portugais. Ce n’est qu’un siècle plus tard que les Portugais commencèrent à fréquenter ces parages[1]. »

Ainsi donc, pendant que l’épée de Duguesclin chassait les Anglais du territoire, quelques hardis matelots de la Manche doublaient le cap Bojador, regardé encore cent ans après eux comme le terrible gardien des mystères de l’Océan ; ils dépassaient le cap Blanc, reconnaissaient le Sénégal, entraient dans le fleuve, et au lieu de ravager les bords comme les Portugais, formaient l’établissement de l’île d’Andar, cette vieille île Saint-Louis, qui depuis lors a constamment appartenu à la France, sauf aux jours désastreux de la guerre de sept ans et de l’empire. Les écrivains portugais racontent avec emphase les périls de leurs marins, la faiblesse des navires et les travaux de l’infant ; ils parlent des préjugés populaires vaincus à force de patience, ils font remarquer l’absence complète de notions géographiques et de cartes qui forçait les voyageurs à naviguer au hasard. Les historiens français se taisent sur les difficultés surmontées par les Dieppois, ils racontent simplement qu’un siècle avant les tentatives de dom Henri, des pêcheurs inconnus, partis des mers orageuses du Nord, ont pénétré, dès leur début, dans le golfe de Guinée. Mais, auprès des navires portugais, quels étaient donc les singuliers bâtimens qui les premiers affrontèrent cette côte funeste ? Si les chevaliers du Christ ont d’abord reculé devant les traditions lamentables du cap Bojador, quelle devait être l’horreur des Normands cent ans auparavant ! et cependant ils ont passé outre. Un prince, un roi, tout un peuple, encouragent les navigateurs étrangers ; les Dieppois, abandonnés à eux-mêmes, ont appareillé sans bruit ; leur départ, comme leur retour, est resté ignoré, leurs chefs sont tombés dans l’oubli, et, tandis que Dieppe et Rouen s’enrichissaient, la France ne savait même pas le nom des nombreux comptoirs fondés par ses enfans sur ces rives lointaines que toutes les nations allaient bientôt s’arracher.

Les marins de Dieppe, associés à des marchands de Rouen, longèrent, en 1365, la cote occidentale d’Afrique, depuis l’embouchure du Sénégal jusqu’à l’extrémité du golfe de Guinée. De cette époque datent les comptoirs de Saint-Louis, de la Gambie, de Sierra-Leone, et ceux de la côte de Malaguette, qui portaient alors les noms de Petit-Dieppe et de Petit-Paris. Les armateurs construisirent des forts à la Mine-d’Or, à la pointe de Guinée, à Acra et à Cormentin. Le commerce consistait, comme de nos jours, dans l’échange de toiles, d’armes, d’eau-de-vie et de verroterie, contre des cuirs, de l’ivoire, de

  1. Nous citons ici des documens officiels. Les renseignemens qui établissent en faveur des Français la priorité de découverte se trouvent dans le tome troisième des Notices statistiques sur les colonies françaises, publiées par le ministère de la marine.