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l’ambre gris, de la poudre d’or et des plumes d’autruche. Dieppe réalisa de grands bénéfices, et commença dès-lors ces charmans ouvrages en ivoire qui lui valurent une renommée qu’elle a toujours conservée.

L’essor des entreprises s’arrêta brusquement au XVe siècle ; les guerres civiles et étrangères ruinèrent le commerce ; Dieppe vit son port désert, Rouen fut pris et pillé ; aucun navire ne put faire voile pour la côte d’Afrique. C’est à cette époque que les Portugais s’aventurèrent au-delà du cap Nun ; les comptoirs français tombèrent, pour la plupart, aux mains des nouveaux conquérans. De là, sans doute, l’erreur des géographes et des historiens qui attribuent aux Portugais la gloire des premières découvertes. Le Sénégal, cependant, avait conservé ses anciens maîtres, et il est singulier que Fernandès n’ait fait aucune mention des Français établis à quatre lieues de l’embouchure de ce fleuve, où il entra en 1446. Les années qui s’écoulèrent.jusqu’en 1626 furent remplies d’ailleurs par une suite de combats et d’hostilités. Cette période agitée eut un dénouement favorable aux intérêts de la France. Nos colons profitèrent de la position inexpugnable de leur île ; ils firent des courses, reprirent plusieurs de leurs anciennes possessions, et recommencèrent à commercer. La colonie du Sénégal s’administra à sa guise, et Saint-Louis, siège des directeurs choisis par l’association des Dieppois et des marchands de Rouen, pourvut seul, et sans l’intervention de la métropole, à la défense de tous les établissemens.

En 1664, Colbert, le seul ministre en France qui ait véritablement compris la marine dans toutes ses parties, voulut régulariser le commerce des colonies ; il créa la compagnie des Indes occidentales, qui acheta, moyennant 150,000 livres tournois, les possessions de l’association normande en Afrique. La compagnie eut le privilège exclusif du commerce pendant quarante ans, depuis le cap Vert jusqu’au cap de Bonne-Espérance ; elle y joignit bientôt une nouvelle branche d’exportation ; c’est au Sénégal qu’on recruta les esclaves destinés aux travaux agricoles des colonies françaises d’Amérique. Avec la traite commença une nouvelle et triste période pour nos établissemens du Sénégal. Cette odieuse spéculation ne tarda pas à devenir l’objet le plus important de tout voyage à la côte, et fit négliger les relations amicales avec les Maures. La troque commerciale du sud fut remplacée par le trafic des négriers, qui ne formaient aucun établissement durable. Les populations, loin d’éprouver le besoin de se livrer à la culture des terres, qu’eussent fait naître à la longue les pacifiques échanges des produits, suspendirent même la recherche de l’or et de l’ivoire pour commencer entre elles ces guerres que l’avidité des blancs rendit interminables. Les chefs barbares, certains de vendre leurs captifs, ne demandèrent plus qu’à la violence et à la dévastation l’horrible récolte d’hommes que venaient réclamer sans relâche les navires d’Europe. La sordide concurrence de tous les peuples pour s’arracher ce bétail humain anéantit chez les noirs les habitudes d’affection les mieux enracinées ; ils ne purent résister à l’attrait du gain bien plus considérable que