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poésie du paysage en rimant la flore du lieu, et la vérité historique en habillant leurs acteurs d’après le journal des modes. En somme, le malin railleur met les contendans dos à dos. « On a dit que les écus, s’écrie-t-il, étaient de tous les partis ; il paraît qu’il en est de même de l’ennui ; il est romantique au boulevard du Temple et classique à l’Odéon. » L’ennui, selon M. Saint-Marc, telle était la maladie incurable. On jugera si depuis le théâtre a guéri de cette maladie-là.

Tout cela était dit dans un style industrieux déjà, net, aiguisé, un peu sautillant parfois ; mais ce défaut, si on songe à la monotone et plate critique des Duvicquet de l’époque, avait l’avantage d’agacer agréablement et de taquiner les habitudes du lecteur. L’ingénieuse variété des cadres ajoutait le piquant de l’imprévu à ces sémillantes chroniques. S’agissait-il, par exemple, de la censure et des pièces qu’elle rejetait ? c’étaient des échantillons moqueurs et des fragmens spirituellement parodiés de cette littérature refusée. Talma venait-il à mourir ? vite on supposait une conversation entre l’empereur et lui, et on disait la tenir d’un ami qui avait gardé la manie des dialogues de morts. M. Scribe donnait-il son charmant Mariage de raison ? on lui adressait aussitôt le monologue d’une grisette furieuse d’être ainsi désenchantée de l’amour. Partout enfin se trahissaient l’habileté de plume et d’arrangement, les finesses de l’écrivain. Ce qui plus tard a fait avant tout l’originalité de M. Saint-Marc Girardin en littérature, je veux dire l’heureuse fusion du moraliste dans le critique, s’annonçait déjà, dans ces courts bulletins de théâtre, par des sentences aiguisées, par d’ingénieuses réflexions semées à travers. Dans toutes ces maximes éparpillées, il y a un mot qui me frappe, malgré son extrême simplicité ; le voici : « Le moyen de voir les choses en beau, c’est souvent de ne les connaître qu’à demi. » Est-ce que, par hasard, à cette date reculée du Mercure, M. Saint-Marc aurait entrevu par prévision et deviné plus qu’à demi le véritable avenir de notre théâtre romantique, et par conséquent les tristes mécomptes qu’on sait ? Je le croirais presque à cette phrase singulière dans laquelle le critique annonce formellement la mission d’opposant déclaré qu’il s’est donnée depuis dans son enseignement : « Avec la nouvelle école, notre rôle sera plus piquant. Que de fois nous aurons à crier haro quand on mettra le niais sous le nom de naïveté, et le monstrueux sous le nom d’énergie[1] ! » Cette prophétie, datée de 1826, servirait à merveille d’épigraphe au Cours de Littérature dramatique.

  1. Mercure du dix-neuvième siècle, t. XV, p. 274.