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levé les ruines. Cependant l’insurrection s’apaisait en Bretagne ; bien des chefs étaient morts ou pris, les bandes se dispersaient ; des armistices, des négociations de toute sorte contribuaient à pacifier ce malheureux pays, et Limoëlan reparut enfm à Lagrange, qu’il acheva de rendre habitable. Le gouvernement l’y laissa tranquille ; on voulait à tout prix calmer les haines, et d’ailleurs on ne connaissait guère le comte pour ce qu’il était, car ce fut un trait essentiel de ces guerres d’ensevelir dans l’obscurité les hommes et les choses qui auraient dû jeter le plus d’éclat.

La manière de vivre de Limoëlan dut encore rassurer l’autorité ; il s’occupait dans sa retraite de l’éducation de son fils, et son apparente réconciliation fut signalée surtout par une circonstance qu’on va rapporter.

Hercule, en effet, poursuivait des études mathématiques sous les yeux de son père, sans autre récréation que la chasse, quelques vieux romans et l’unique société de Langevin, devenu le concierge de l’habitation nouvelle. La guerre avait dépeuplé le pays. La plupart des gentilshommes voisins avaient disparu ; d’ailleurs, sous la surveillance d’une police ombrageuse, toute communication devint redoutable. Lagrange même, bâti près de l’ancien château de Beaulieu, était dans un site sauvage qui donnait cours dans le pays à d’anciennes superstitions. Le comte était toujours sombre et laconique, son fils ne le voyait qu’à l’heure des leçons et du repas. Cette solitude, cette maison, et tous les affreux souvenirs de son enfance, influèrent sur le caractère de ce jeune homme, où dominaient la mélancolie et l’exaltation.

Un jour son père le fit appeler dans sa chambre, chose extraordinaire dont Hercule fut fort troublé. M. de Limoëlan était assis devant une table de bois blanc et cherchait des papiers dans une cassette. Il se retourna vers son fils, debout à ses côtés.

— On vient d’établir à Paris une école militaire, où l’on doit former d’excellens officiers ; j’ai résolu de vous y envoyer. Vous partirez demain.

Hercule regarda son père d’un air où se lisait assez son étonnement.

— Vous porterez l’uniforme de la république et la cocarde tricolore. Vous obéirez à vos chefs comme à moi-même. Soumettez-vous à tout, je vous l’ordonne.

À ce mot de république, une vive rougeur trahit l’indignation du jeune homme.