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LIMOËLAN.

— Vous vous livrerez selon vos goûts, reprit Limoëlan, aux études qui conviennent soit à un ingénieur militaire, soit à un bon officier d’artillerie. Donnez vos soins à tout, s’il est possible, afin qu’on puisse plus tard vous employer selon le besoin. Je vous recommande le maniement des armes. Sachez bien tenir une épée. Vous êtes bon écuyer et bon tireur ; exercez-vous encore, et quand vous serez bon officier….

Hercule, le feu dans les yeux, allait répondre, mais le père, impatienté de ses soupçons, l’arrêta rudement.

— Que craignez-vous donc ? Quand vous serez bon officier, je vous mettrai à la disposition du roi.

À ce mot, le jeune homme confus baissa les yeux.

— Soit que nous reprenions les armes, continua M. de Limoëlan, soit que le roi nous revienne par des voies pacifiques, il aura toujours besoin de bons serviteurs. Je vous dirai plus tard ce qui se prépare, tenez-vous prêt seulement à entrer dans mes vues. C’est assez que vous sachiez dès à présent combien vous pouvez être utile, et combien mes motifs sont pressans. Vous en jugerez par ce que me coûte une pareille démarche.

L’effort était visible en effet. Le comte se détourna vite sur d’autres considérations.

— Une guerre de dix ans a décimé les royalistes tant à l’étranger qu’à l’intérieur. La seule affaire de Quiberon écrasa d’un coup l’élite de la vieille armée. Nous autres qui avons survécu, nous vieillissons. Que reste-t-il ensuite ? Des paysans, de pauvres gens qui savent mourir à leur manière, mais plus de chefs, plus d’officiers. Vous ne feriez ici que perdre le temps. Les affaires peuvent changer de face, et dans tous les cas votre carrière serait ouverte.

Hercule n’avait rien à répliquer aux ordres de son père ; mais, d’ailleurs, ce projet le remplit de joie. Sortir de l’oisiveté, voyager, voir Paris, s’acheminer vers l’épaulette, c’était justement tout ce qu’il pouvait souhaiter. Le comte exécutait promptement ce qu’il avait résolu : le départ eut lieu le lendemain ; Langevin n’en eut avis qu’au moment même, quand il fallut seller les chevaux, et le pauvre garçon, les larmes aux yeux, demanda la permission d’accompagner M. Hercule à Saint-Florent, ne fût-ce que pour l’embrasser à son aise. M. de Limoëlan assista froidement aux derniers préparatifs ; mais, quand son fils tout ému lui tendit les bras, le vieux gentilhomme le serra dans les siens avec une violence mal contenue, et rentra brusquement chez lui.