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LIMOËLAN.

jours sous les dehors violens, ses opinions même poussées à l’extrême, l’avaient tout porté dans le camp ennemi. Le gouvernement ne daigna pas ébruiter une entreprise qui avait si peu de gravité. Malseigne, nommé coup sur coup capitaine et adjudant, fut envoyé dans les corps d’armée de l’ouest. L’autorité nouvelle en agissait volontiers de la sorte pour apaiser ses ennemis nombreux et les partis qui grondaient encore. Tous les papiers de ce complot imprudent furent également livrés ou saisis jusqu’à la lettre suivante, adressée par Hercule, du fond de sa prison, à l’un des plus jeunes complices, nommé Simon, qui ne fut pas même arrêté.

« Nous n’avons plus, cher Simon, qu’à rendre l’âme sous le pan du manteau. Voici le dernier coup. Qui l’eût deviné ? C’est la plus surprenante horreur de ce temps qui en produit de belles. Je crois rêver en traçant ces quatre mots : Malseigne nous a vendus ! Une chose me console, c’est qu’il est à peu près sûr que je serai fusillé dans huit jours. Le dictateur triomphe. Ce n’était rien pour lui que de nous tuer, il a voulu nous déshonorer, et il n’y réussit que trop avec ce lâche. Quelle honte, quel spectacle pour un Français digne de ce nomi Je suis instruit, mais trop tard. Je t’envoie ce dernier adieu malgré les précautions de mes geôliers. J’attends la mort, mais je meurs fidèle aux opinions que tu me connais.

« Vive la république ! »

Cette lettre fut remise, avec la première, dans les mains du premier consul, qui se connaissait en hommes, et qui sut apprécier celui-ci. Bonaparte, qui prenait grand intérêt à cette brillante école récemment fondée, voulut connaître jusqu’aux derniers détails de cette prétendue conspiration. Il n’y vit qu’un coup de jeunesse et nul motif de se priver, dans un avenir prochain, de bons et savans officiers. Les conjurés, qu’on avait dédaigné d’arrêter, furent dispersés dans différens corps. Hercule de Limoëlan, qui parut l’homme le plus à craindre, était en prison, et deux anciens jacobins, agitateurs incurables, furent à cette occasion jetés au château d’If de Marseille.

La dernière lettre d’Hercule ne donne qu’une faible idée de son désespoir. Cette longue machination ourdie avec des hommes qu’il méprisait pour la plupart, l’état des choses publiques dont il était si cruellement blessé, les triomphes de ce gouvernement soutenu par la gloire et le génie d’un homme extraordinaire, aussi bien que par les