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lâchetés de ses adversaires, tout semblait depuis long-temps se succéder pour accabler son courage ; l’inconcevable trahison de Malseigne fut, comme il le disait, le dernier coup. Dès le premier moment, il résolut de se tuer dans sa prison ; mais, en y songeant mieux, il fut d’avis, dans sa haine farouche, qu’il ne fallait point épargner le sang d’une autre victime à la pourpre des nouveaux Césars ; et peut-être eut-il aussi la pensée de prouver à son père, par une telle mort, qu’il n’était point tout-à-fait indigne de sa famille.

Il s’attendait donc à subir le jugement expéditif d’une commission militaire. Deux jours se passèrent, mais le soir même du second jour il entendit tirer précipitamment les verrous de sa porte ; le guichetier s’arrêta sur le seuil, et le prisonnier vit entrer un homme de petite taille enveloppé d’une grosse lévite, et dont il ne put distinguer le visage. Il se crut dévoué à quelqu’une de ces exécutions secrètes dont on accusait le gouvernement consulaire, il soupçonna quelque tentative de la police pour lui arracher de nouvelles révélations ; mais l’homme, sans lui laisser le temps de conjecturer, lui demanda d’un ton brusque et moqueur s’il n’avait point conspiré avec les chouans pour la maison de Bourbon.

Cette question surprenante le déconcerta à tel point, qu’il put à peine répondre.

— En ce cas, reprit l’homme à la lévite, vous n’auriez pas grande répugnance à commander une compagnie dans les départemens de l’ouest, où la guerre s’est rallumée ?

— Général, dit Hercule en reconnaissant le personnage, est-ce une manière de me demander une trahison ?

— Si je vous en croyais capable, je vous ferais fusiller sur-le-champ ; mais je suppose que vingt-quatre heures de cachot vous ont ouvert les yeux sur une folie coupable abandonnée de tous vos complices. On ne trahit personne quand on s’appelle comme vous.

On sait que déjà Bonaparte commençait avec la noblesse ce système de séductions qu’il poursuivit plus tard. L’ancien éclat du nom de Limoëlan l’avait frappé autant que le caractère du jeune homme qui le portait.

— C’est pourquoi, général, répondit Hercule, je mourrai ou vivrai comme on voudra, attaché à mes opinions.

— Eh bien ! monsieur, on s’en servira, de vos opinions ; en attendant, la France vous demande votre épée. Vos opinions vont-elles la lui refuser ?