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LIMOËLAN.

ici, ou, si vous aimez mieux, dans un réduit moins obscur qui est là tout près.

Ils s’avancèrent dans une seconde galerie qui allait en pente et qui menait dans un de ces corps-de-garde où se réunissaient jadis plusieurs hommes d’armes pour la défense d’un point important des remparts.

— Ici du moins vous verrez plus clair ; dans tous les cas, je vous laisserai ma lanterne, et, en quelque endroit que vous demeuriez, je défie bien qu’on vous y cherche.

— Mais, dit Hercule en souriant, de quoi comptes-tu que je puisse vivre ici ?

— Y songez-vous, monsieur Hercule ; je reviendrai avant deux heures, soit pour vous retirer, soit pour vous apporter des vivres. Soyez tranquille, je n’aurai guère autre chose en tête, et si nous sommes assez heureux pour nous échapper tranquillement, je tâcherai de vous accompagner jusqu’à Saint-Florent.

Le métayer, avec un mouvement de cordialité combattu par le respect, tendit la main au capitaine.

— C’est égal, dit-il pour détourner son attendrissement, vous allez toujours bien vous ennuyer.

— Il est étrange, dit Hercule en levant les yeux vers les voûtes, que je sois emprisonné chez moi. Je tâcherai de passer le temps de mon mieux.

En même temps il tira de sa poche un petit volume. Langevin se retira sans vouloir souffrir que le capitaine l’éclairât, en disant qu’il reconnaîtrait bien son chemin, et Hercule entendit long-temps le bruit de ses pas incertains que lui renvoyait l’écho de ces murailles ténébreuses. Le premier moment de silence dans ce lieu sinistre lui causa quelque émotion, dont il ne put s’empêcher de sourire dès qu’il s’en aperçut. Hercule avait lu les romans du jour, et sa situation n’était point sans rapports avec les scènes mystérieuses que la littérature anglaise avait mises à la mode en France. Il ne connaissait point dans toutes les œuvres d’Anne Radcliff un château plus désert, plus profond, plus terrible, que ce vieux manoir de Beaulieu, qui lui avait inspiré tant de curiosité dans son enfance ; mais il touchait au doigt maintenant le néant de ces rêveries romanesques. Que trouvait-il en effet dans ces murailles formidables ? De la poussière et des oiseaux de nuit ; le prestige même des souvenirs historiques s’était évanoui, et cet édifice où avaient vécu tant de preux n’était plus qu’une ruine inutile, bonne à faire peur aux enfans. Ramené à sa situation présente,