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LIMOËLAN.

rage de le revoir. À six heures, un piquet le vint prendre ; deux sous-officiers se placèrent à ses côtés, et l’on se mit en marche en silence. Les troupes étaient en bataille à quelque distance du château, au milieu de ce plateau même où il était bâti, et d’où il commandait les coteaux voisins.

L’adjudant-général Malseigne venait d’arriver, et c’était le signal qu’on attendait. Le piquet parut sur le lieu de l’exécution, tandis que l’officier-général s’installait dans la salle même que le prisonnier venait de quitter. En passant devant les rangs, Hercule cherchait des yeux quelques-uns de ses camarades, mais ils ne purent soutenir ce dernier regard, et affectèrent de se détourner. Tout à coup un certain désordre se manifesta dans le groupe des officiers. Un homme décoré d’épaulettes sur un habit bourgeois tout souillé s’était jeté au milieu d’eux, et demandait impérieusement à parler à l’officier supérieur.

— C’est moi, dit le commandant Bescher ; mais qui êtes-vous et qu’avez-vous à dire en un pareil moment ?

— Précisément, le temps presse. Vous allez fusiller le meilleur officier de la république. Je suis le comte de Limoëlan. Vos soldats me connaissent.

— Assurez-vous de cet homme, s’écria le commandant.

— Je viens tout exprès ; jugez-moi sur-le-champ, je suis prêt à vous donner les renseignemens qui vous manquent. Quant à cet officier, j’allais le faire fusiller pour nous avoir surpris. C’est moi qui l’ai blessé au bras. Le complot n’est plus à craindre, les gens qui me secondaient sont en sûreté ; je vous livre ici le chef, mais ce jeune homme est innocent.

Hercule, jusque-là si ferme, pâlit au milieu des soldats, sans entendre ce que disait son père, mais ne le devinant que trop. Les officiers, déjà émus en sa faveur, pressentaient la vérité et admiraient l’étonnant caractère de ces deux hommes ; ils entouraient le commandant, qui était fort touché lui-même et qui dit enfin :

— L’adjudant-général est là, cela le regarde ; allez lui dire ce qui se passe et lui demander ses ordres.

Un officier partit, laissant les soldats sous les armes ; les autres allèrent entourer Hercule. Le comte, debout entre deux grenadiers, attendait d’un air fort calme. En un clin d’œil, le lieutenant revint, et tous les spectateurs, en le voyant venir de loin, éprouvaient au même degré l’effet de cette scène. Cet officier remet un papier au commandant.