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qui lit, jure sous sa moustache, et le jette en donnant un ordre. Il y avait sur ce papier ces mots tracés au crayon :

« C’est une comédie. Ils conspiraient en famille. Exécutez-les sur-le-champ ; je prends tout sur moi. »

Les grenadiers qui escortaient le comte le conduisent à côté de son fils, et cette horreur s’exécute avec le silence et l’apparence impassible des mouvemens militaires. L’attendrissement du commandant perça dans ces mots dits à voix basse :

— Finissons-en vite.

En effet, les préparatifs furent si rapides, qu’on négligea de bander les yeux aux deux prisonniers. Au dernier commandement, le père et le fils se tournèrent l’un vers l’autre, et tombèrent ensemble sous les balles en se tenant embrassés.

L’adjudant-général Malseigne voulut bien donner à l’état-major de plus longues explications à déjeuner, et fit valoir notamment qu’il avait des instructions fort sévères, que le complot était redoutable, et que le père et le fils en étaient la tête. Il s’applaudit qu’on en fût venu à bout sans verser plus de sang. En effet, il fut approuvé et félicité par les autorités de Paris. C’était, disait-on, la dernière entreprise qui eût menacé de rallumer une guerre sérieuse dans les départemens de l’ouest.

À la fin du dernier automne, nous visitions les ruines du château de Beaulieu, quand on nous donna ces détails sur la famille Limoëlan. Un habitant de Saint-Florent, qui nous guidait, s’adressa, pour pénétrer dans le manoir, à un vieux paysan qui cultive quelque coin de terre dans le voisinage. Cet homme se munit des clés, et nous descendîmes par des escaliers ténébreux dans les souterrains où s’étaient passés la plupart de ces évènemens, qu’on nous expliquait sur les lieux à mesure que nous les parcourions. Nous marchions sous ces voûtes sombres à la clarté douteuse d’une lanterne, comme y avait marché Hercule de Limoëlan lui-même. Le vieux paysan nous donnait des détails minutieux, en employant volontiers la première personne du pluriel, que je pris long-temps pour une simple forme de son patois angevin ; mais, en remontant, il m’échappa de demander à notre ami de Saint-Florent quel était cet homme.

— Eh mais, c’est Langevin lui-même, ce Langevin qui servait les MM. de Limoëlan, et c’est peut-être la même lanterne dont l’effet sinistre vous frappait tant là-bas qui a servi à M. Hercule.