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le bénéfice de tous les édits de son règne, donner enfin aux princes de Lorraine toutes les places fortes réclamées par eux, c’était abdiquer à la face du monde et déclarer que le roi de France s’appellerait désormais Henri de Guise.

Si cet acte fut pénible à Henri III, il ne porta pas au roi de Navarre un coup moins sensible.

Nous avons indiqué les motifs pour lesquels ce prince avait constamment répugné à engager avec le chef de sa race une lutte dont l’issue ne pouvait être que funeste à lui-même. En voyant donc disparaître tout espoir de constituer un parti intermédiaire et de préparer pour l’avenir le triomphe d’un système de transaction, en se trouvant désormais placé entre deux fanatismes également intraitables, Henri de Bourbon éprouva une émotion tellement violente que sa moustache en grisonna ; mais le propre des hommes éminens est de modifier leur conduite sans abandonner leurs desseins, et c’est là ce que sut faire ce prince avec une rapidité surprenante.

Sitôt qu’il se vit menacé dans son gouvernement par les forces royales réunies à celles de la ligue, il lança des émissaires dans toutes les provinces, des agens en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, en Danemark, pour obtenir de l’argent et des secours, préparant tout pour faire tête à l’orage. Il échappa successivement, par une stratégie habile, à l’armée du maréchal de Matignon et à celle du duc de Mayenne, et, prenant l’offensive à son tour, il entama une série d’entreprises aussi hardies qu’heureuses contre des troupes divisées par les vues secrètes de leurs chefs non moins que par les ordres contradictoires émanés de la cour et du conseil de la ligue. Battant tous les buissons de la Gascogne et du Poitou, tenant tantôt dans des bicoques contre des armées, et tantôt s’élançant par des sentiers inconnus au centre du camp ennemi, on le vit, pendant deux années, suppléer à l’infériorité de ses forces par la fécondité de son esprit et l’audace de sa résolution. Ame de feu dans un corps de fer, homme de sang-froid jusque dans l’exaltation de la victoire, Henri était singulièrement propre à cette guerre dans laquelle le rôle du général se confondait avec celui du soldat. Passant du champ de bataille aux conférences, essuyant le feu de l’escadron volant après les charges de la cavalerie catholique, le prince s’abouchait à Saint-Bris avec Catherine, qui vouait ses vieilles années à l’intrigue, comme elle lui avait consacré sa jeunesse ; et pendant qu’il rassemblait toutes les forces du protestantisme pour les opposer à la brillante armée du duc de Joyeuse, il nouait des négociations avec les gouverneurs royalistes alarmés de l’autorité conquise