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gentilshommes et sur celui de ces régimens suisses qui allaient faire pour la première fois, autour de la demeure royale, l’épreuve de leur longue fidélité. C’était trop peu contre toute une ville qui se croyait trahie par son roi, et qu’une longue excitation avait préparée à une extrémité terrible. La journée des barricades, qui chassa Henri III de sa capitale et livra Paris à la ligue pendant cinq années, fut un de ces mouvemens dont, seule entre toutes les nations, la France semble avoir le redoutable privilège. Le 14 mai 1588, on vit un peuple tout entier quitter son labeur et sa famille pour descendre dans la rue afin d’y jouer sa vie pour une idée ; on le vit triompher de la discipline par l’audace, et combiner dans une irrésistible puissance d’agression l’héroïsme du dévouement, l’enivrement de la révolte et de la mort.

Henri se fit, comme tous les rois vaincus, l’illusion de croire qu’il l’avait été par surprise. Chassé de Paris, il réunit à Blois les états-généraux de son royaume ; mais il vit bientôt qu’au sein de cette assemblée les passions n’étaient pas moins ardentes que sous les halles de Paris, et que les engagemens avec la ligue étaient plus étroits peut-être. Alors il appela l’assassinat au secours de son impuissance, et son bras énervé tenta un coup qu’un roi dans toute sa force aurait à peine osé. Il fit répandre dans un guet-apens le sang de l’homme le plus populaire de la France et celui d’un prince de l’église, puis le disciple de Catherine se crut le maître du mouvement parce qu’il en avait frappé la tête. Il aurait eu raison si, comme le pensait sa mère, la ligue n’avait été qu’une conjuration ; mais c’était une grande opinion nationale, et cette opinion ne recula pas devant un crime. Ce crime devint au contraire entre ses mains un grief et une arme de plus. A la nouvelle de l’attentat de Blois, Paris consomma sa révolte, et, pour la première fois en France, la souveraineté populaire descendit en armes sur la place publique, afin d’y proclamer la déchéance d’un roi et d’y revendiquer le droit imprescriptible de présider aux destinées de la nation.

Le peuple de la ligue devança le peuple de la Bastille, et les barricades de mai s’élevèrent au même titre que les barricades de juillet. Le XVIe siècle tenta, au profit d’une idée religieuse, ce qu’on a fait plus tard au profit d’une idée politique. La cause était assurément aussi noble, et l’intérêt n’était pas moins grand. Quelques mois plus tard, lorsque le meurtre de Henri III eut expié le meurtre du duc de Guise, le peuple de Paris déclara Henri IV exclu du trône, parce qu’il était étranger à la foi de la nation et repoussé par le saint-siège. Un peuple catholique subordonnait l’usage de sa souveraineté à la décision