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frais, les fleurs embaumées ou éclatantes que le sol leur offrait dans les bois, sur le bord des rivières. Ils y joignaient les plantes médicinales méthodiquement arrangées, les arbustes remarquables par leur floraison ou leur feuillage, l’excellence de leurs fruits ou la vertu de leurs graines, et les arbres au port majestueux ou élégant ; ils se plaisaient à distribuer leurs platebandes et leurs bosquets sur le penchant des collines où ils les tenaient suspendus. C’est ainsi qu’ils égalaient les célèbres jardins de Sémiramis, rangés par l’antiquité, dont les modernes ont accepté le jugement, au nombre des merveilles du monde. Ils y conduisaient par des aqueducs des eaux prises au loin, qu’ils épanchaient en cascades, ou dont ils remplissaient de spacieux bassins peuplés de poissons rares. Des pavillons mystérieux se cachaient sous les feuilles, des statues se dressaient du milieu des fleurs. Toutes les curiosités que nous rassemblons dans nos jardins des plantes, les oiseaux au beau plumage, renfermés dans des cages grandes comme des maisons, les animaux sauvages et les bêtes fauves, concouraient à l’ornement de ces lieux de plaisance. L’Europe, à la même époque, manquait de jardins des plantes[1]. Quand on lit les récits de la conquête, on se prend d’admiration pour le jardin du roi Nezahualcoyotl, à Tezcotzinco (deux lieues de Tezcuco), suspendu sur le flanc d’une colline dont on gravissait la pente par cinq cent vingt marches, et que couronnait, par un tour de force de l’hydraulique, un bassin d’où l’eau descendait successivement dans trois autres réservoirs ornés de statues gigantesques. On s’arrête de même à la description des jardins dont Cuitlahua, frère de Montezuma, son éphémère successeur, avait embelli sa résidence d’Iztapalapan, et de ceux d’un simple cacique, à Huaxtepec, qui n’avaient pas moins de deux lieues de tour, à ce que dit Cortez dans sa troisième lettre à Charles-Quint. On s’étonne de tout ce que Montezuma lui-même avait accumulé dans le sien de Mexico. Aujourd’hui le voyageur qui, à Chapoltepec, erre à l’ombre des énormes cyprès portant le nom de Montezuma, mais antérieurs à ce prince, et foule avec un recueillement qu’on ne peut maîtriser ce sol jadis consacré à la sépulture des empereurs, comprend tout ce que le monarque aztèque avait pu faire, avec l’art de ses jardiniers, dans la plaine qui entoure cette solitaire colline de porphyre, en aidant l’action du soleil tropical de celle de l’eau pure qui sourd du pied du rocher, et il trouve raisonnable ce qu’on nomme

  1. Le premier jardin des plantes qui ait été établi en Europe est celui de Pajoue fondé en 1445, les autres n’ont suivi que d’assez loin cette époque.