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dont elle entreprend aussitôt la conquête au profit de sa fille, lady Mary. Second quiproquo, conséquence du premier.

Un troisième résulte de ce que la jeune cousine d’Henry, miss Ellen Grigson, indocile aux conseils de sa mère, est secrètement éprise du jeune Rivers, parent du comte de Hunsdon. Un autre membre de la même famille, sir George Mordent, espèce de bourru bienfaisant, dont le comte et sa femme supportent les rudes boutades en vue de l’héritage qu’il peut leur laisser, favorise les amours de Rivers et le présente chez lord Hunsdon à titre de musicien amateur qui pourra servir de chef d’orchestre.

Il ne faut pas une grande dose de perspicacité pour deviner ce qui doit s’ensuivre. Henri Grigson, qui voit sa cousine l’accueillir très froidement, profite de la bienveillance intéressée que lui témoigne lady Hunsdon pour faire sa cour à lady Mary, si bien qu’au dénouement, lorsque la double supercherie éclate, on n’a rien de mieux à faire qu’à permettre le double hymen qui va unir les Hunsdon et les Grigson, l’ex-ministre et l’ex-wholesaler, la fière comtesse et cette bonne commère de Gracechurch-Street ; bref, deux races ennemies, dont la politique a commencé l’amalgame, et que les jeux de l’amour fondent pour jamais l’une dans l’autre.

Quant à l’élection d’Oldfleld, que la protection du comte semblait assurer à l’honnête Jeremy, elle lui est enlevée par un quatrième quiproquo qu’a préparé à son profit l’homme d’affaires de lord Hunsdon, espèce de Machiavel subalterne, chargé d’agir auprès des électeurs. Cet homme, appelé Cogit, abuse de son mandat, confisque les lettres écrites en faveur du pauvre Jeremy, et se fait proclamer député sans craindre la rancune de son patron, contre lequel, sans nul doute, il a des armes puissantes.

Dieu nous garde d’insister sur les vices de cette fable absurde, où une invraisemblance n’attend pas l’autre, où les plus proches parens se méconnaissent avec une facilité désespérante, où les intrigues se nouent en quelques heures, où les fripons ne se donnent pas la peine d’être habiles, ni les dupes celle d’être honnêtes. Elle prouve que l’art dramatique n’a pas fait de très grands progrès chez nos voisins depuis le temps où Dryden, déplorant la supériorité des pièces françaises, louait nos auteurs, par l’organe de sir Charles Sedley, « d’observer avec scrupule les unités, de ne pas mettre une double intrigue dans chaque pièce, de ne point mêler le pathétique et le comique, de ne pas encombrer le théâtre d’événemens. » Il est vrai qu’il s’agissait de la tragédie ; mais ne saurait-on appliquer à toute espèce de compositions dramatiques les sages conseils du vieux poète" ? « En s’attachant à l’unité d’un sujet, dit-il, les Français ont gagné plus de liberté pour la poésie.