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précipitamment et d’une voix altérée : — Ah ! ma chère sœur, je ne sais ce qui se passe en moi... mon âme est accablée de tristesse... j’ai des mouvemens de désespoir, quand je songe que dans huit jours je prendrai le voile. Oh ! que je voudrais être un petit oiseau pour m’envoler par-delà ces murailles !

— Oh ! mon enfant, que dites-vous 1 s’écria la sœur Geneviève consternée ; quoi, vous voudriez quitter le couvent !

— Pour vivre seulement quelques jours hors d’ici, je crois que je donnerais volontiers le reste de ma vie.

— Eh ! que deviendriez-vous, grand Dieu ! dans ce monde dont vous n’avez aucune idée, où vous ne connaissez personne ?

— Qu’importe ? répliqua impétueusement Cécile ; il me semble si beau d’ici ! — Puis elle ajouta en pleurant : — Mais je ne sortirai pas du couvent, je ne passerai jamais la porte de clôture, jamais, ni vivante ni morte !...

En ce moment, les religieuses entrèrent au dortoir ; la sœur Geneviève n’eut que le temps de serrer la main de Cécile, et de lui dire encore :

— Mon enfant, demain sans doute le père Boinet viendra vous faire commencer vos exercices spirituels ; il faut lui déclarer sincèrement la situation de votre âme. Ne craignez rien, c’est un saint homme, plein, de lumières et de miséricorde, il vous écoutera avec indulgence, il vous consolera !..

Le lendemain, Mlle de Chameroy entra en retraite, et la sœur Geneviève ne la vit plus que dans le chœur, entre la supérieure et la maîtresse des novices.

C’était un grand événement dans les maisons religieuses qu’une prise d’habit. Cette cérémonie attirait beaucoup de monde, et les bonnes sœurs mettaient une pieuse vanité dans l’exhibition de leurs ornemens d’église. A l’approche de ce jour, une agitation inaccoutumée régnait dans le couvent. Les révérendes mères ne quittaient plus la sacristie ; elles tiraient des armoires de cyprès les chasubles de drap d’or, les surplis de dentelle, et recommençaient avec orgueil l’inventaire des reliques et des pièces d’orfèvrerie, tandis que les jeunes religieuses faisaient des bouquets artificiels, et que les petites pensionnaires découpaient des collerettes neuves pour les cierges. On veillait le soir, afin d’achever ces grands préparatifs, on faisait collation à l’ouvroir : c’était une activité, une jubilation universelle.

Au milieu de toute cette allégresse, la sœur Geneviève réfléchissait tristement aux dernières paroles de Cécile ; elle tremblait que les exhortations du père Boinet eussent été sans effet sur cette âme révoltée, et elle voyait arriver avec une inexprimable inquiétude le jour de la cérémonie. L’avant-veille de ce jour, à la sortie du chœur, s’apercevant