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que Mlle de Chameroy regagnait seule sa cellule, elle demeura un moment en arrière, et lui dit précipitamment, tandis que les autres religieuses s’éloignaient :

— Eh bien ! mon enfant, votre âme est-elle délivrée des mouvemens qui la troublaient ? les paroles du père Boinet ont-elles raffermi votre vocation ?

Mlle de Chameroy tourna vers la religieuse son visage pâli par les tourmens intérieurs qu’elle avait soufferts, et répondit en versant des larmes : — Oh ! ma chère sœur, il n’y a rien de changé en moi ; j’éprouve toujours les mêmes frayeurs, les mêmes angoisses... le Seigneur m’a retiré sa grâce...

— Vous vous êtes confessée au père Boinet ?

— Oui, ma sœur, je lui ai avoué les répugnances, les désirs coupables que j’ai conçus malgré moi ; mais il a vu sans indignation l’état de mon ame. Il a traité mes appréhensions de scrupules sans fondement ; enfin il m’a assuré que j’avais une vocation suffisante.

— Et il n’a pas jugé à propos de différer la prise d’habit ?

— Non, ma sœur ; il m’a recommandé seulement de me mettre entre les mains du Seigneur, qui connaît mieux que nous-mêmes les voies par lesquelles nous devons aller à lui. Alors, pressée par une douleur mortelle, je me suis jetée aux genoux de notre révérende mère, je lui ai déclaré que je ne me sentais pas appelée à la vie parfaite, et que je risquais mon salut éternel en prenant le voile. Elle m’a écoutée avec une bonté infinie, sans me blâmer, sans s’étonner, en m’appelant toujours sa chère fille, sa chère brebis. Ensuite elle m’a aidée à faire un nouvel examen de conscience, et, quoique je lui aie révélé sincèrement les pensées coupables qui s’élevaient dans mon esprit à mesure que j’approfondissais mes dispositions, elle a refusé de croire que le Seigneur m’eût ainsi abandonnée, elle a persisté à me rassurer sur ma vocation. Oh ! ma chère sœur, telle est mon ingratitude et mon iniquité, que tant de douceur et de miséricorde ne m’a pas touchée ; j’ai senti au contraire en moi des mouvemens de révolte et de haine. Je prendrai le voile, mais je ne serai pas une bonne religieuse ; dans le fond de mon cœur, je détesterai mes vœux...

— Oh ! mon enfant, ne proférez pas de telles paroles ! interrompit la sœur Geneviève avec effroi : vous êtes dans la maison du Seigneur, à quelques pas de son tabernacle...

— Il est vrai... ne me punissez pas, mon Dieu ! je me soumets, que votre volonté soit faite ! murmura Mlle de Chameroy en baissant la tête avec un geste d’abattement plutôt que de résignation.

L’arrivée de la mère Madeleine rompit cet entretien ; à l’aspect de la sœur Geneviève, elle fronça légèrement le sourcil, et dit d’un air de sévérité indulgente : — N’avez-vous pas entendu la cloche, ma chère