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Le feu qui embrasait en ce moment le vaisseau l’Alcide avait pris dans sa hune de misaine où l’on avait réuni quelques grenades destinées à être lancées sur le pont de l’ennemi dans le cas où l’on en viendrait à l’abordage. En quelques minutes, les flammes eurent gagné la voilure et enveloppé le bâtiment. Sept vaisseaux anglais étaient alors engagés avec l’arrière-garde française, quelques autres s’en approchaient rapidement, mais l’amiral Hotham se trouvait encore avec le reste de son escadre à huit ou neuf milles en arrière. Cependant la brise, qui avait d’abord soufflé du nord-ouest, venait de passer à l’est. Ce brusque changement, très fréquent sur les côtes de Provence, donnait à l’amiral Martin l’avantage du vent sur l’escadre anglaise, mais ne lui permettait plus d’atteindre le golfe Jouan et d’y aller chercher la protection déjà éprouvée des batteries qui l’avaient couvert contre les vaisseaux de lord Hood. Notre escadre se dirigeait donc avec une faible brise vers le golfe de Fréjus, encore éloigné d’au moins trois ou quatre lieues, quand tout à coup les vaisseaux qui la poursuivaient cessèrent leur feu, et, virant de bord, se portèrent à la rencontre de l’amiral Hotham. Inquiet de la dispersion de son escadre et de la proximité de la terre, ce dernier, après avoir perdu le matin l’occasion d’accabler nos vaisseaux, en abandonnait la poursuite quand les vents les obligeaient à se réfugier dans un golfe ouvert et sans défense !

Le seul avantage que les Anglais retirèrent de cette escarmouche maladroite fut la destruction du vaisseau français l’Alcide. Une heure et demie environ après que l’incendie se fut déclaré à bord de ce malheureux navire, une explosion terrible en dispersa les débris et engloutit plus de la moitié de son équipage. Des 615 hommes qui se trouvaient en ce moment à son bord, 300 seulement purent être recueillis par les embarcations anglaises. Le reste périt victime d’un affreux accident qui s’est trop souvent renouvelé dans cette longue et funeste guerre.

Pour la première fois peut-être, dans cette affaire insignifiante, les Anglais remarquèrent l’incertitude de notre tir. Pendant deux heures, les vaisseaux de notre arrière-garde répondirent au feu de l’ennemi, sans lui causer d’autre dommage que de désemparer le Culloden d’un de ses mâts de hune, et encore, ainsi qu’on devait l’observer pendant la durée entière des hostilités, un système vicieux de pointage dirigeait-il nos coups vers la mâture plutôt qu’à la carène ou aux œuvres mortes des vaisseaux ennemis. Au lieu de s’occuper de rendre nos artilleurs plus habiles et leurs coups plus assurés, la convention ne songeait qu’à introduire à bord de nos navires de nouveaux moyens de destruction, dont l’emploi flattait son ardeur par le caractère même d’acharnement qu’il semblait prêter à cette guerre. Elle avait prescrit à bord de tous les vaisseaux de la république l’usage de projectiles incendiaires,