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sociale qui dirige tous les changemens administratifs, c’est l’emploi quelquefois prématuré, mais souvent heureux, des idées et des principes de l’Occident. Il ne faudrait pas cependant que l’intérêt moral d’un pareil spectacle nous fit perdre de vue des intérêts plus particuliers, et qui, pour être d’un ordre plus matériel, n’en sont pas moins aussi des moyens d’influence ; nous voulons parler de nos relations commerciales. Nous voudrions en même temps montrer comment la Russie a profité jusqu’ici de la légèreté avec laquelle nous avons laissé s’endommager des relations si essentielles ; le temps est justement venu de les améliorer.

Le traité de commerce conclu le 25 novembre 1838 entre la France et la Porte, mis en vigueur pour sept ans à partir du 1er mai 1839, se trouve maintenant expiré. D’après l’article 9 et dernier, ce traité serait encore valable pour sept autres années, si, dans les six mois qui ont suivi l’expiration, la révision n’avait été demandée par aucune des puissances contractantes ; mais d’une part le gouvernement français s’est déjà occupé d’étudier les modifications dont l’expérience avait prouvé la nécessité, de l’autre la Porte a spontanément invité les ambassadeurs de France et d’Angleterre à concerter avec elle de nouveaux arrangemens. L’Angleterre était en effet dans une situation analogue à celle de la France ; elle avait conclu, au mois d’août 1838, un traité sur lequel nous avions calqué notre traité de novembre, et qui, comme le nôtre, expirait en 1846. L’Angleterre ne semble pas d’ailleurs plus satisfaite que nous de l’état de choses actuel ; enfin les plaintes de la Porte indiquent assez qu’elle se croit en droit de réclamer pour son compte tout aussi bien que les deux puissances avec qui elle avait presque simultanément négocié.

Pour comprendre ces griefs, qu’on pourrait d’abord juger réciproques, puisqu’ils s’élèvent des deux côtés à la fois, pour s’expliquer la situation créée par les conventions de 1838, il faut remonter à l’époque antérieure, au régime du traité de 1802. Ce traité, signé par M. de Talleyrand au moment où la paix fut rétablie entre la France et la Porte, ne contenait rien autre chose que nos anciennes capitulations avec le grand-seigneur. Obtenues et développées dans le temps même des prospérités ottomanes, les capitulations n’étaient pas du tout des contrats synallagmatiques entre puissances égales, c’étaient seulement des concessions bénévoles octroyées par la Porte à des alliés qu’elle voulait bien favoriser, sans stipuler en retour quoi que ce fût pour elle-même, parce qu’elle n’avait alors ni le désir ni le besoin d’entrer en relations avec l’Europe. Cette position ainsi faite à la France datait du pacte conclu en 1535 avec Soliman-le-Magnifique, modifié et complété en 1740 par Mahmoud Ier. À considérer seulement les questions commerciales, voici donc comme elles étaient réglées par les anciennes capitulations, confirmées en 1802. On ne payait qu’un droit fixe de 3 pour 100, soit à l’entrée, soit à la sortie des marchandises, mais il fallait acquitter des droits additionnels, soit pour transporter les productions du sol de l’empire jusqu’au lieu d’embarquement, soit pour introduire les marchandises d’importation dans l’intérieur. Il fallait en outre obtenir des autorisations spéciales (teskérés) pour l’achat de certaines denrées, et les monopoles, l’une des ressources les plus sûres du trésor ottoman, interdisaient le négoce d’un grand nombre de productions agricoles ou autres. Ainsi le commerce étranger rachetait en quelque sorte, par des charges et des vexations de détail, les