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penser, ni agir sans prendre l’avis de la reine, et lui abandonna la direction du gouvernement, trop heureux que la femme qui partageait son trône et son lit voulût bien consentir à le soulager du fardeau des affaires. Dès-lors il se livra exclusivement à sa passion pour la chasse, et y consacra tous les momens qu’il ne donnait point aux pratiques de dévotion.

La reine voulait à tout prix gouverner, et elle ne possédait pas une seule des qualités que suppose une telle ambition. Elle avait l’esprit vif, mordant, mais capricieux, inappliqué, étranger à la science des affaires, et complètement dépourvu d’étendue et d’élévation. A de tels souverains, il fallait absolument un homme qui gouvernât sous leur nom ; cet homme fut Godoy. Le favori fut digne de ses maîtres.

Don Emmanuel Godoy naquit à Badajoz en 1767 d’une famille noble, mais pauvre. La nature ne lui avait départi aucune de ces grandes qualités de l’esprit ou du caractère qui expliquent et justifient les hautes et rapides fortunes ; mais il avait une belle figure, de la souplesse, l’humeur enjouée et facile. Sa beauté fit sa fortune. La reine le distingua dans la foule de ses gardes, l’éleva jusqu’à elle, le présenta au roi comme un jeune homme d’une capacité éminente, le fit entrer au conseil d’état, bientôt après lui confia le poste de ministre des affaires étrangères, et, de faveurs en faveurs, finit par lui livrer, avec son cœur et sa confiance, le gouvernement tout entier de l’état.

Godoy a eu le sort des favoris qui sont tombés sous le poids de la haine publique. Il a été fort calomnié, et l’on a exagéré ses vices comme ses fautes. Il avait des qualités incontestables, l’esprit naturellement juste, lucide, souple, prompt et libre des préjugés de son pays. L’habitude des affaires lui avait donné une assez grande facilité de travail. Son caractère était doux et humain. Les vifs et durables attachemens qu’il a su inspirer attestent qu’il avait une puissance de séduction peu commune. Il avait surtout à un haut degré cette grace, cet entraînement sympathique, qui sont particuliers aux hommes de plaisir. L’Espagne lui doit d’importantes améliorations. Il est le premier ministre espagnol qui ait osé braver la colère du clergé en arrêtant l’envahissement des biens de main-morte, en réfrénant le pouvoir intolérant du tribunal de l’inquisition, enfin en obtenant du saint-siège le droit de séculariser et de vendre une partie des propriétés ecclésiastiques. Plus d’une fois il a conçu de nobles et vastes desseins, tels que la réorganisation des finances de l’Espagne et de son système militaire ; mais pour conduire à fin de telles entreprises, pour triompher des mille obstacles que lui suscitaient les privilèges des nobles, l’esprit de domination du clergé, la timidité du roi et la jalousie ombrageuse de la France, il eût fallu une variété de connaissances, une fécondité et une sûreté d’esprit, une puissance de volonté et d’application qu’il n’a jamais eues. La reine a été