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divertissemens aux fêtes de l’esprit, les rapports du poète et du théâtre se trouveront changés comme ceux de l’écrivain et de l’éditeur. Des deux côtés, la pensée aura perdu son rang et méconnu sa mission. Eh bien ! c’est ce qui arrive aujourd’hui. Les théâtres, déjà trop nombreux, n’étaient que trop exposés aux périls qui dégradent les lettres. Il en fallait à peine dix ; il y en a vingt-cinq. Toutes les forces vives qui se dispersent dans l’improvisation quotidienne, qui se détruisent dans les rouages sans nombre du journalisme, devaient être réunies sur ce point et ranimées avec vigueur ; on les a divisées, on les a disséminées de nouveau. Aussi, que voyons-nous ? Les théâtres livrés à la concurrence du cynisme, de folles ébauches acceptées sans contrôle, souvent même érigées en œuvres inviolables, en un mot tous les excès, toutes les vanités littéraires, et peu ou point de littérature. A voir le nombre des théâtres et la liste énorme des écrivains qu’ils emploient, on croirait, en vérité, que les fêtes de l’imagination se renouvellent continuellement, et que nulle époque n’a été plus féconde en poètes, plus riche en créations glorieuses. C’est le contraire qui est vrai. Ce qui semble un signe de prospérité pour la poésie dramatique est précisément ce qui fait sa faiblesse. Plus le nombre des théâtres s’accroît, plus aussi les causes de ruine se multiplient. On est comme enfermé dans un cercle vicieux, dans un cercle qui a ses degrés, et chaque jour on descend plus bas dans l’erreur. Où s’arrêtera-t-on dans cette voie désastreuse ? D’un côté, les esprits élevés, les intelligences prévoyantes, signalent le mal, réclament énergiquement des réformes, demandent la réduction du nombre des théâtres[1] ; de l’autre, les spéculateurs et les dramaturges, les hommes de désordre calculé ou de fantaisie turbulente, implorent l’anarchie dont ils ont besoin : ce n’est malheureusement pas les premiers qu’on écoute.

La législation théâtrale ne saurait être l’objet d’une étude trop attentive. Cette poésie, qui s’adresse à la foule assemblée, est à la fois la forme la plus haute de l’art et celle qui touche le plus intimement aux intérêts publics. Abandonner sur ce point l’action de l’état, fermer les yeux au mal, faire des concessions à l’esprit de négoce, c’est livrer une des plus hautes tribunes qu’il y ait au monde. Dans une société forte et régulière, le théâtre est une institution presque sacrée. Le drame doit se souvenir de son origine : né dans l’église, il doit toujours conserver, malgré les changemens inévitables, une autorité élevée et un religieux sentiment de sa mission. Il a été dans la Grèce l’expression sublime de la religion et de la patrie ; le monde moderne lui a fourni aussi de grands triomphes : au XVIIe siècle, il s’est associé aux pompes splendides de la royauté et il a enchanté une société brillante. N’a-t-il

  1. Voyez l’excellent article de M. Vivien sur les Théâtres, livraison du 1er mai 1844.