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Et je montrai une telle joie de cette circonstance, que l’Arménien me crut fou. Il était loin certes d’en soupçonner le motif.

Rien n’ajoute de force à un amour commençant comme ces circonstances inattendues qui, si peu importantes qu’elles soient, semblent indiquer l’action de la destinée. Fatalité ou providence, il semble que l’on voie paraître sous la trame uniforme de la vie certaine ligne tracée sur un patron invisible, et qui indique une route à suivre sous peine de s’égarer. Aussitôt je m’imagine qu’il était écrit de tout temps que je devais me marier en Syrie ; que le sort avait tellement prévu ce fait immense, qu’il n’avait fallu rien moins pour l’accomplir que mille circonstances enchaînées bizarrement dans mon existence, et dont sans doute je m’exagérais les rapports.

Par les soins de l’Arménien, j’obtins facilement une permission pour aller visiter la prison d’état située dans un groupe de tours qui fait partie de l’enceinte orientale de la ville. Je m’y rendis avec lui, et, moyennant le bakchis donné aux gens de la maison, je pus faire demander au cheik druse s’il lui convenait de me recevoir. La curiosité des Européens est tellement connue et acceptée des gens de ce pays, que cela ne fit aucune difficulté. Je m’attendais à trouver un réduit lugubre, des murailles suintantes, des cachots ; mais il n’y avait rien de semblable dans la partie des prisons qu’il me fit voir. Cette demeure ressemblait parfaitement aux autres maisons de Beyrouth, ce qui n’est pas faire absolument leur éloge ; il n’y avait de plus que des surveillans et des soldats. Le cheik, maître d’un appartement complet, avait la faculté de se promener sur les terrasses. Il nous reçut dans une salle servant de parloir, et fit apporter du café et des pipes par un esclave qui lui appartenait. Quant à lui-même, il s’abstenait de fumer, selon l’usage des akkals. Lorsque nous eûmes pris place et que je pus le considérer avec attention, je m’étonnai de le trouver si jeune ; il me paraissait à peine plus âgé que moi. Des traits nobles et mâles traduisaient dans un autre sexe la physionomie de sa fille ; le timbre pénétrant de sa voix me frappa fortement par la même raison. J’avais, sans trop de réflexion, désiré cette entrevue, et déjà je me sentais ému et embarrassé plus qu’il ne convenait à un visiteur simplement curieux ; l’accueil simple et confiant du cheik me rassura. J’étais au moment de lui dire à fond ma pensée ; mais les expressions que je cherchais pour cela ne faisaient que m’avertir de la singularité de ma démarche. Je me bornai donc pour cette fois à une conversation de touriste. Il avait vu déjà dans sa prison plusieurs Anglais, et était fait aux interrogations sur sa race et sur lui-même.

Sa position, du reste, le rendait fort patient et assez désireux de conversation et de compagnie. La connaissance que j’avais déjà de l’histoire de son pays me servait surtout à lui prouver que je n’étais guidé que par un motif de science. Sachant combien on avait de peine à