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à des particuliers. Derrière cette chaîne est une vallée parallèle au Nil, et qui renferme les tombeaux des rois, vastes demeures souterraines creusées dans le roc. Avec ces indications, on peut, ce me semble, se représenter la distribution des monumens que nous allons parcourir et rapidement examiner, comme des voyageurs qui reviendront.

J’ajouterai encore que la véritable ville, la ville d’Ammon, ou, comme disaient les Grecs, la ville de Jupiter (Diospolis), occupait la rive droite, qui est la rive orientale. La rive gauche confinait à la nécropole ou ville des morts, laquelle était située comme toujours au couchant, parce que la région du couchant était la région des morts. C’est encore un moyen mnémonique : les catacombes de Paris se trouvent sur la rive gauche. Comment communiquaient les deux parties de la grande cité thébaine ? Était-ce par des barques innombrables, comme les caïques de Constantinople, ou par un pont, ainsi qu’à Babylone ? Si ce pont a existé à Thèbes, il a dû être formé de bateaux, car autrement il resterait quelque trace de la maçonnerie. Du reste, les ponts n’étaient point inconnus des anciens Égyptiens ; on voit un pont représenté sur deux des monumens de Thèbes.

Il ne reste rien de la fameuse enceinte ; il est donc permis de révoquer en doute l’existence des murs sur lesquels pouvaient se promener des chars. Si cette enceinte eût jamais existé, elle aurait laissé quelques vestiges. L’enceinte, moins antique il est vrai, de la ville d’Elithya, a bien subsisté presque intacte jusqu’à nos jours, et l’on trouve, amoncelées en collines, les briques des murailles de Babylone.

Après ce coup d’œil général jeté sur la topographie de Thèbes, il est temps d’en visiter les débris. Par où faut-il commencer ? Je n’hésite point à répondre : par le plus beau. En voyage, on doit, je pense, aller à ce qui est frappant ; on a, de la sorte, une impression forte et complète. Si l’on arrive par gradation aux objets les plus remarquables, l’impression s’affaiblit et s’atténue pour avoir été trop préparée. A Rome, il faut se diriger d’abord vers le Colisée ou vers Saint-Pierre, et ne rien regarder sur la route. D’après ce principe, je commence par Karnac.

Quand on a traversé un petit bois de palmiers, on rencontre un vaste pylône, large comme la moitié de la façade des Invalides et haut comme la colonne de la place Vendôme. Il n’a pas été achevé[1]. Par ce pylône,

  1. Un pylône est l’encadrement d’une grande porte formé par deux massifs qui vont en diminuant de la base au sommet ; ce sont comme deux pyramides tronquées et sur lesquelles repose une terrasse. Dans l’intérieur des massifs sont ménagés des escaliers conduisant sur la terrasse, qui forme le sommet du pylône, et qu’on croit avoir pu servir à des observations astronomiques. Il y a des pylônes en avant de l’entrée ou à l’entrée de presque tous les monumens égyptiens. Il est possible, comme on l’a dit, que l’épithète homérique de Thèbes aux cent portes soit une allusion aux nombreux pylônes qui la décoraient. J’en dirai autant de Thèbes aux belles portes, épithète qu’on lit dans une inscription tracée par un voyageur grec sur la statue de Memnon.