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orales s’accordent à les représenter comme les arrière-neveux de ces tribus asiatiques qui, sous la conduite d’Attila, remplirent un instant l’Occident de terreur et de carnage. Les Magyares sont des Huns ; mais de quelle souche de peuples les Huns sont-ils eux-mêmes descendus ? Les anciens annalistes de la Hongrie et un savant contemporain, M. Étienne Horvath, font remonter leur généalogie aux Scythes et aux Parthes, dont l’humeur belliqueuse et l’esprit d’indépendance ont été éprouvés successivement par la Perse, la Grèce et Rome. M. Horvath range aussi, parmi les ancêtres des Magyares, les Philistins, les Cananéens, les Ammonites, les Jébuséens, si souvent en lutte avec Israël, les Pélasges, qui disputèrent le sol de la Grèce aux Hellènes, et les Sabins, dont les filles sont devenues les mères des Romains. Un savant magyare, recherchant dans le passé la filiation de sa race, ne pouvait point manquer de découvrir pour elle les preuves d’une parenté des plus anciennes et des plus glorieuses ; il était d’ailleurs obligé, par les prétentions des Slaves à une antiquité qui se perd dans la nuit des âges fabuleux, de leur opposer des prétentions semblables pour sa patrie ; mais sur ce terrain des origines, comme partout, les Slaves gardent encore l’avantage. Si, en effet, les Magyares sont issus de peuplades très belliqueuses, les Slaves ont autrefois fondé de grands empires, comme celui d’Assyrie, ou d’illustres royaumes, comme celui de Troie, et peut-être aussi sont-ils, avec les Étrusques, les plus anciens habitans de l’Italie, en sorte qu’ils ont une double raison de voir dans leurs aïeux les pères des Romains. Les Magyares ont beau invoquer les noms de Mithridate et d’Attila, les Slaves triomphent avec ceux de Pandarus, d’Énée et de Nabuchodonosor[1]. Dans cette rivalité d’érudition, les bons Valaques, qui ne sont point savans, mais qui ont la mémoire remplie de rians souvenirs, se bornent à dire avec une simplicité fière : « Nous sommes Roumains. » Chacun possède ainsi ses titres de noblesse.

Sans remonter au temps des Scythes et des Philistins, les Magyares, il faut le reconnaître, n’avaient, pour illustrer leur berceau, qu’à puiser à pleines mains dans l’histoire du moyen-âge. Les uns, fixés et organisés dès l’époque d’Attila, à l’extrémité orientale des Carpathes, sous le nom de Szeklers, de Sicules ou Scythules (petits Scythes), établirent promptement leur renommée de bravoure. Ainsi en fut-il des autres qui vinrent, du VIe au IXe siècle, s’installer plus à l’ouest, et se constituèrent sous la conduite d’Arpad. Leur domination une fois assurée sur les Roumains de la Transylvanie, qui forma néanmoins une principauté à part, sur les Slaves des Carpathes, enfin sur les Croates, les Slavons et les Dalmates, les Magyares, entraînés par la passion des conquêtes, furent un moment maîtres de la Bosnie et de la Serbie. Ils devaient cependant éprouver à leur tour les maux qu’ils faisaient souffrir aux peuples vaincus. Après avoir succombé, au XVIe siècle, sous les coups de Soliman, à Mohacz, dans un combat désastreux dont encore aujourd’hui ils ne parlent qu’en gémissant, ils furent réduits par la violence et par la ruse à se donner à la maison d’Autriche, qui les dépouilla peu à peu de toutes leurs libertés, et voulut leur enlever jusqu’au sentiment de leur nationalité. Depuis qu’ils avaient embrassé le christianisme, les petits-fils d’Attila n’avaient point d’autre langue politique que celle de l’église latine. La cour de Vienne, en les attirant par l’appât des dignités brillantes et des plaisirs élégans, les amenait

  1. Voyez plutôt l’Église officielle et le Messianisme, par M. Mickiewicz.