Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1076

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers la langue germanique, comme dans un piège où leur ruine pouvait se consommer.

Cependant, au moment même où les Magyares semblaient les plus fidèles sujets de l’Autriche, les savans qui étudiaient le passé avec admiration et surprise, les patriotes qui s’inspiraient du souvenir rajeuni de leurs aïeux, les nobles et les paysans eux-mêmes, effrayés du germanisme envahissant de Joseph II, se réveillèrent par un coup d’éclat, qui fut la naissance du mouvement connu sous le nom de magyarisme. La Hongrie changea son nom en celui de Magyarie ou de royaume magyare (Magyar-Orsag), sous prétexte que le mot latin Hungaria n’avait point d’autre sens possible dans la langue nationale. C’était à la fois un affranchissement et une conquête. Les Magyares s’affranchissaient de la suprématie du latinisme et du germanisme, et ils conquéraient, en les absorbant, les Slovaques, les Croates et les Valaques ; du moins le magyarisme, plus orgueilleux que prudent, se proposait ce double but.

Depuis l’époque où naquit ce mouvement à la fois anti-germanique et anti-slave, bien des événemens se sont produits qui ont dû enlever aux Magyares quelques-unes de leurs superbes espérances. L’humeur intraitable, la fougue aventureuse qui distinguent leur race, les ont entraînés dans des vicissitudes dramatiques qui deviennent chaque jour plus compliquées. Si le magyarisme a pu porter de rudes coups au germanisme, il en a reçu bien d’autres de l’illyrisme en Croatie, du tchékisme chez les Slovaques, et du roumanisme en Transylvanie. Les Magyares n’ont rien perdu cependant de leur orgueil, et la crise qu’ils traversent aujourd’hui est une conséquence naturelle de l’élan patriotique déterminé en Hongrie par les réformes de Joseph II.

Suspects aux Allemands, odieux aux Slaves, comment les Magyares maintiendront-ils leur ascendant en Hongrie ? Comment même échapperont-ils à une ruine complète ? Telle était la question qui m’attirait, il y a deux ans, en Hongrie. Cette question se représente aujourd’hui encore. J’avais pu constater sur les lieux mêmes les fautes du patriotisme magyare ; j’avais pu remarquer aussi parmi la jeune noblesse hongroise un esprit libéral qui avait déjà donné plus que des promesses. Je m’efforçais de croire que la dernière de ces tendances servirait un jour à expier et à racheter les erreurs de l’autre. Depuis ce temps, rien n’est venu démentir cette espérance, quoique le mouvement de plus en plus marqué des races ait rendu la situation des Magyares plus périlleuse, plus critique encore. Pour démontrer que rien ne répugne à l’union de l’idée nationale avec l’idée libérale, seul moyen d’adoucir, sinon d’éteindre les haines suscitées par le magyarisme, il suffira peut-être d’indiquer les rapports étroits de ces deux idées avec le génie même de la race, avec les mœurs et les traditions de la société magyare.


I.

D’inflexibles préjugés de race et un libéralisme chaleureux, tels sont les deux mobiles, bien opposés en apparence, dont je pus observer l’action au sein de la société magyare. Les campagnes devaient me montrer l’orgueil de race dans toute la naïveté de ses allures ; le séjour des villes me permettait, au contraire, d’étudier les idées libérales dans leur foyer même et sur le théâtre de leurs victoires.