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finances. Je me rassure toutefois en pensant que bientôt le danger deviendra évident à tous les yeux, et qu’alors on consentira à adopter des mesures efficaces. Dans une lettre écrite au général Lafayette par le général Washington, au moment où chacun des états américains paraissait prêt à rompre le lien fédéral et où l’individualisme s’emparait de tous les esprits, le fondateur militaire et, politique de la liberté américaine disait avec confiance : « Les peuples libres ne savent pas prévoir le danger, mais, une fois qu’il est arrivé, ils ont plus de ressources et de volonté que les autres pour le surmonter. »

En toute circonstance aujourd’hui, on s’efforce de cacher les fautes de la conduite sous quelque idée générale, brillante ou spécieuse. Le déficit, lui aussi, a l’honneur de posséder une théorie, et l’on oppose la théorie du crédit au vieux principe de l’équilibre budgétaire. Voici comment cette nouveauté se défend et prétend se justifier. Depuis 1815, le produit des contributions a toujours été croissant, progressivement croissant ; l’augmentation des dépenses ordinaires n’empire donc pas la situation financière, si toutefois l’accroissement des dépenses se règle sur celui des recettes, et les travaux publics étant de leur nature productifs, concourant puissamment au développement du revenu, il n’y a aucune imprudence à subvenir aux dépenses qu’ils entraînent par le moyen d’emprunts. Avec cette théorie, la situation des budgets devient d’une médiocre importance ; l’état du crédit, le plus ou moins de facilité pour emprunter, sont les seuls points à considérer. Les déficits s’appellent des découverts, les emprunts périodiques sont une chose naturelle, raisonnable et prévue, et, dans les idées d’équilibre entre les recettes et les dépenses, on ne voit que des opinions surannées, mesquines, ridiculement timides. Chose étrange, ce système financier à toute vapeur est celui des plus prudens en politique et des apôtres de l’intérêt matériel. Il est permis de croire que des raisons de parti ne sont pas plus étrangères à l’invention de la théorie qu’elles ne l’ont été aux faits qu’elle doit servir à justifier. Cette question rappelle à certains égards la vieille controverse financière entre la constitution de la banque de France et l’ancienne constitution de la banque d’Angleterre, avec cette circonstance aggravante que l’intérêt politique n’agit pas sur le gouvernement des banques, et qu’ici il vient renverser toutes les combinaisons, toutes les prévisions d’un optimisme systématique.

La théorie qui veut qu’on subvienne aux dépenses de l’état, dans les temps calmes et ordinaires, par le moyen du crédit, est fausse en elle-même, parce qu’elle n’admet que les chances favorables et rejette toutes les éventualités fâcheuses ; en escomptant l’accroissement futur des revenus, elle entre un peu dans cette voie qui, à l’assemblée des notables de 1787, s’appelait la voie déplorable des anticipations. Un inconvénient