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En 1833, on trouve surtout des réimpressions d’anciens livres ; mais, en 1845, les livres nouveaux abondent, et l’on peut se croire en pleine renaissance du moyen-âge : ce ne sont qu’histoires de couvens, de missions, d’associations religieuses. L’ordre des jésuites donne lieu en une seule année à vingt-six publications diverses. L’histoire des pèlerinages, des miracles, des apparitions, des reliques, les vies des saints, se propagent dans une proportion qui surprend ; l’illustration et la commandite se réunissent pour exploiter cette branche lucrative. Déjà, en 1836, on avait vu se former à Paris une société hagiologique pour la continuation des Bollandistes, et tout récemment encore il s’est constitué, sous le patronage de M. l’archevêque de Chalcédoine, une société de l’histoire ecclésiastique de France, pour la continuation des grands recueils tels que la Gallia christiana, les Concilia Gallia, etc. Les livres légendaires, comme les livres mystiques, se vendent à grand nombre, et constituent une branche de commerce fort importante que le clergé tend à monopoliser à son profit. On sait que les frères de Saint-Augustin, dont le principal établissement est à Avignon, ont parmi eux une section de commis-voyageurs en librairie désignés sous le nom de missionnaires propagateurs de bons livres. On sait aussi qu’il existe dans plusieurs séminaires des magasins désignés sous le nom de boutiques, destinés à approvisionner le diocèse ; qu’à l’occasion du dernier jubilé, on a vendu dans les sacristies une grande quantité d’Instructions et de Prières, et que dans plusieurs maisons religieuses on fait le commerce des livres. Une Vie de la vénérable mère de Jésus, religieuse de l’ordre de Saint-Dominique, se vend, le titre nous l’annonce, à Langeac, chez les dames de Sainte-Catherine. Pourquoi en effet les dames de Sainte-Catherine ne seraient-elles point libraires, quand le général d’un autre ordre est l’un des directeurs des distilleries du Nord ? Nous insistons sur ce point, parce que, dans la librairie comme dans toutes les autres industries, les corporations religieuses font aux industriels laïques une concurrence d’autant plus redoutable qu’elles se placent en dehors de toutes les conditions ordinaires, et souvent en dehors de toutes les obligations imposées par les lois. Il ne s’agit plus, comme dans la primitive église, de conquérir des ames pour le ciel, mais d’acquérir des immeubles pour la corporation, et la chose est facile en capitalisant, à côté des produits souvent énormes des quêtes et des aumônes, les bénéfices des diverses industries qu’on exploite dans un grand nombre de maisons religieuses.

L’histoire, qui dans toutes ses autres divisions a fait de si grands progrès, est ici en pleine décadence, et, à l’exception d’une dizaine d’ouvrages parmi lesquels il faut citer au premier rang les travaux de MM. les abbés Rohrbacher et Receveur, on ne trouve guère que des pauvretés littéraires qui pèchent autant par la forme que par l’érudition. M. Carle et M. Robiano, l’historien du déiste Louis XVIII, correspondant de Robespierre et de Marat, remplacent Mabillon et Fleury. Le pamphlet apologétique a succédé à la dissertation savante ; on ne s’inspire plus pour écrire l’histoire ecclésiastique de la collection de Labbe ou de la Gallia christiana, mais des paradoxes de Joseph de Maistre ; on réhabilite l’inquisition, la Saint-Barthélemy, les égaremens de la ligue ; on fait abstraction complète dans l’histoire de l’église de tous les faits humains, de cette barbarie du moyen-âge qui ne laissa plus d’une fois, comme l’a dit Bergier, que l’écorce du christianisme ; enfin la disette d’ouvrages sérieux est si grande, que c’est à