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en me rappelant que Coeur-de-Roi m’avait annoncé comme porteur de graves nouvelles. Ramené au but de mon voyage, je lui appris alors la blessure de Jambe-d’Argent, la dispersion de sa bande et quels dangers menaçaient l’insurrection, si une volonté puissante ne venait empêcher les divisions et arrêter le découragement. Je parlai long-temps, car le jeune chef écoutait sans m’interrompre et sans faire un mouvement. Surpris enfin de cette impassibilité, je le regardai :

— Peut-être doutez-vous de mes lumières ou de ma sincérité ? ajoutai-je, mais vous pouvez facilement vérifier…

— Non, je vous crois, répondit froidement M. Jacques.

— Et vous ne voyez aucun moyen de relever ces courages qui attendent un chef ?

— A quoi bon ? qu’importe, après tout, à des laboureurs et à des pâtres la couleur du drapeau qui flotte sur nos villes ? comprennent-ils seulement ce qu’ils attaquent, ce qu’ils défendent ? Quand la révolution est venue, ils ont tiré sur elle par peur du nouveau, de l’inconnu, comme, dans les temps d’orage, ils tirent sur les nuées afin de les dissiper ; mais la nuée a crevé en grêle et en tonnerre : le plus sage désormais est de rentrer pour chercher un abri.

— Et c’est vous qui dites cela ! m’écriai-je stupéfait, vous qui leur avez mis les armes à la main, vous dont ils défendent la cause, puisque vous êtes gentilhomme…

J’hésitai.

— Achevez, dit M. Jacques avec un peu d’ironie ; pourquoi ne pas dire : Vous qui êtes prince ? Je le vois, monsieur, vous aussi vous avez ajouté foi aux suppositions de nos crédules paysans. Le mystère dont j’ai dû m’entourer pour ne point compromettre ma mère et mes soeurs, vous lui avez donné une intention plus profonde ; vous me croyez le précurseur du comte d’Artois. Permettre plus long-temps une pareille erreur serait en faire un mensonge. Sachez donc la vérité tout entière, monsieur. Je me nomme Jacques de la Mérozières, et je ne suis qu’un obscur et pauvre gentilhomme de Brissarthe en Anjou.

— Pardon, repris-je vivement ; vous êtes de plus l’espérance et le lien de l’insurrection dans le Maine. C’est vous qui lui avez donné une direction, qui lui avez soufflé une ame. Croyez-vous donc qu’un chef puisse abandonner les cœurs qu’il a enflammés comme nos bergers abandonnent le feu de bruyère allumé au coin d’une douve ? Si les hommes simples encouragés par vous à la révolte ne comprennent point les principes qu’ils défendent, vous du moins vous les comprenez, vous les aimez…

— Qu’en savez-vous ? interrompit-il brusquement.

— N’avez-vous point combattu ?…

— Qui vous dit que ce soit pour des principes ?

— Et pourquoi donc alors ?