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À cette nouvelle, toute la noblesse de Tolède s’émut d’indignation. Livrer la reine à l’oncle de la favorite, c’était, disait-on, la condamner à mort. Personne ne doutait que le roi n’eût contre elle les desseins les plus sinistres, et l’on regardait déjà la malheureuse Blanche comme une victime dévouée. Lorsque Hinestrosa parut aux portes de Tolède conduisant sa prisonnière, qu’il s’efforçait de rassurer en l’entourant de marques de respect, tous les cœurs se sentirent émus de colère et de pitié. Les dames surtout se faisaient remarquer par leur exaltation, accusaient les hommes de faiblesse, et, au nom de la chevalerie, demandaient des vengeurs à leur reine outragée. On entra dans la ville au milieu d’une foule serrée, qui tantôt saluait la princesse de ses acclamations, tantôt faisait entendre des huées menaçantes contre son escorte. L’évêque de Ségovie, qui accompagnait la prisonnière, demanda pour elle la permission d’entrer dans la cathédrale, afin d’y prier devant la fameuse pierre qui conserve l’empreinte du pied de la Vierge, objet de vénération pour toute l’Espagne[1]. Hinestrosa était trop courtois pour s’y refuser, et Blanche entra dans l’église, la plupart des soldats demeurant en dehors entourés d’une foule bruyante qui grossissait à chaque instant. Ennuyé d’une assez longue attente et craignant quelque collision entre le peuple et ses gens, Hinestrosa avertit respectueusement la reine qu’il était temps de se rendre au logis qu’il lui avait fait préparer dans l’Alcazar ; mais alors elle refusa de sortir du sanctuaire. Le clergé de Tolède l’environnait. La multitude avait envahi la cathédrale, et le chambellan de don Pèdre, mal accompagné, répugnant d’ailleurs au rôle de geôlier, n’osa pas employer la violence pour arracher la reine à son asile. Après de longs pourparlers avec les prélats et les principaux habitans, il consentit à lui laisser prendre un logement dans l’enceinte de la cathédrale jusqu’à ce que le roi en eût ordonné. Pour lui, réunissant tous les cavaliers tolédans qui voulurent le suivre, il partit pour aller joindre le roi devant Ségura, emportant l’espoir que la ville, privée d’une partie de sa jeune noblesse, demeurerait soumise et tranquille. Il n’en fut rien. Dans sa retraite, la reine était visitée sans cesse par une foule de dames qui venaient s’apitoyer sur son sort et lui faire des offres de services. Les femmes de sa suite, et surtout sa camarera-mayor, doña Léonor de Saldaña, femme du seigneur de Haro, imploraient la pitié de leurs hôtes et les suppliaient de sauver l’innocente princesse. « Le roi, disait-elle, est trahi par de perfides conseillers. L’Alcazar de Tolède sera le tombeau de notre reine, et bientôt vous allez voir revenir l’oncle de la Padilla avec des bourreaux qui la sacrifieront à la haine d’une indigne rivale. La chevalerie de Tolède laissera-t-elle

  1. Los Reyes Nuevos, par don X. Lozano, lib. I, cap. X. — C’est sur cette pierre que la sainte Vierge posa les pieds quand elle apparut à saint Ildephonse et lui remit une chasuble de tela de cielo, de toile du ciel, selon le grave auteur que je viens de citer.