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consommer un si lâche attentat ? Assurément le roi, un jour désabusé sur le compte de ses misérables favoris, remerciera les fidèles vassaux qui lui auront épargné un crime. » Blanche ne faisait entendre aucune plainte ; mais ses terreurs et ses larmes, au seul nom de son mari, parlaient assez éloquemment pour elle. L’âge, la beauté de la reine, charmaient les jeunes nobles ; sa douceur et sa piété touchaient le peuple ; tous juraient de la protéger contre ses ennemis. Les bourgeois lui formaient une garde dévouée et veillaient sans relâche autour du palais épiscopal de peur de surprise. Tout à coup le bruit se répand que Hinestrosa revient à Tolède. Aussitôt gentilshommes et artisans courent aux armes. On tend les chaînes dans les rues : en un moment la ville est soulevée. L’alguazil-mayor et les alcades sont jetés en prison. Le peuple se porte en masse à l’Alcazar, en enfonce les portes et en chasse la garnison. Cette prison que lui destinait son mari va devenir son palais et sa forteresse ; on l’y mène en triomphe avec les dames de sa suite. Après la révolte, surviennent les inquiétudes. Il est trop tard pour fléchir le roi : il faut se concerter avec les rebelles. On écrit à don Fadrique pour lui demander du secours[1].


V.

Don Pèdre cependant, retardé dans sa marche, avait été devancé à Ségura par le maître de Saint-Jacques, qui s’était déjà fait remettre la place. En arrivant aux pieds des remparts, le roi fit appeler le gouverneur, don Lope de Bendaña, un des principaux commandeurs de l’ordre, et le somma aux termes de ses sermens de lui ouvrir ses portes. La conscience du châtelain de Ségura était moins sévère que celle du commandeur de Montiel ; mais il avait cependant ses scrupules, et n’osait faire publiquement un acte de rébellion. Il s’avisa de cet expédient qui peint les mœurs du moyen-âge. A la sommation du roi, don Lope parut aux créneaux accompagné de quelques soldats et portant une chaîne au cou. « Mon seigneur le maître, dit-il, est entré dans le château en surprenant ma foi. Prisonnier par son ordre, je ne puis plus accomplir mon serment et recevoir le roi dans cette forteresse comme me le prescrit l’hommage que je lui ai prêté[2]. » Bien qu’il ne fût pas la dupe de cette comédie, don Pèdre ne crut pas devoir rendre une sentence de trahison contre ce commandeur. Après d’insignifiantes escarmouches contre la garnison du château, averti par Hinestrosa que la reine s’était échappée de ses mains, il laissa quelques troupes devant Ségura, et partit aussitôt pour Tolède. Chemin faisant, il réunit en chapitre à

  1. Ayala, p. 140 et suiv.
  2. Ayala, p. 139.