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a dignement honoré sa mémoire en adoptant sa veuve et son fils ? Encore si la mort n’eût frappé que les hommes dont c’est le métier de la braver et de l’attendre ; mais il a fallu qu’elle visitât aussi ce missionnaire de paix et de concorde qui venait pour la conjurer. La fin sanglante de l’archevêque de Paris restera dans les souvenirs de cet âge comme une des scènes les plus touchantes et les plus majestueuses de l’histoire. Ce sera un grand tableau devant les yeux de la postérité. Le pontife martyr a donné sa vie pour ses brebis, comme il le disait avec onction dans les entretiens de son dernier jour ; il l’a donnée simplement et sans faste en un temps où tout est orgueil. C’est un vrai sacrifice, dans lequel le prêtre et le citoyen se sont saintement immolés ensemble à la religion et à la patrie.

L’assemblée nationale n’est pas restée au-dessous de ces terribles circonstances ; on pouvait lui reprocher jusqu’à présent plus d’une hésitation, plus d’une faiblesse ; on doit rendre un éclatant hommage au dévouement intrépide, à l’esprit politique qu’elle a montré durant la tempête. L’assemblée nationale a payé sa part de la dîme de sang que les mauvaises passions prélevaient sur notre malheureux pays. Elle a voulu que ses membres allassent partout, soit offrir la clémence aux insurgés, soit exalter les cœurs des défenseurs du bon droit Dès le premier jour, deux représentans, M. Bixio et M. Dornès, étaient gravement blessés ; un troisième, M. Charbonnd, a maintenant succombé. L’assemblée nationale a fait enfin une plus haute entreprise : elle a provoqué, forcé la démission de la commission exécutive, et remplacé cette commission, pour le moment de la crise, par la dictature du général Cavaignac. Chef du pouvoir exécutif, le général Cavaignac a répondu glorieusement à la confiance absolue qu’on lui témoignait : il a délivré Paris en saisissant avec un coup d’œil parfait tout l’ensemble de l’insurrection, et en l’atteignant à la fois dans toutes ses parties. L’insurrection vaincue, le général a remis ses pouvoirs aux mains de l’assemblée, qui les lui a confirmés, qui a laissé subsister l’état de siège prononcé par le dictateur, qui a investi ce nouveau magistrat de la république du droit absolu de se choisir un cabinet. Ce cabinet est aujourd’hui composé. C’est ainsi qu’ont disparu les fondateurs de la jeune république, léguant à d’autres le soin de la constituer. C’est ainsi que l’assemblée nationale a rejeté, par une élaboration successive, ce qu’il y avait de violent et de radical dans le personnel originaire de notre nouvel état politique. M. Louis Blanc, M. Ledru-Rollin, M Flocon lui-même, tout ce qui s’appelait, en un mot, dans le gouvernement le camp de la Réforme, tout cela se trouve désormais, et probablement pour toujours, évincé. Le camp du National s’est plutôt renouvelé que dégarni : il est peut-être moins bien retranché, depuis qu’il n’a plus cet avant-poste que la Réforme lui fournissait à contre-cœur ; mais enfin le pays respire mieux en n’apercevant plus au-dessus de sa tête que la rédaction d’un seul journal, tandis que tout à l’heure encore il en avait deux à porter.

Nous plaignons M. de Lamartine, si pitoyablement, mais si justement abandonné de sa fortune au milieu de ces vicissitudes contre lesquelles il s’était cru trop fort. Il est seul aujourd’hui et plus impuissant qu’il ne l’imaginera jamais, pour avoir voulu se rendre plus nécessaire qu’il n’avait besoin de l’être. Il perd la plus belle partie qu’homme au monde ait eue dans sa main, pour n’avoir pas voulu la jouer grandement et simplement, pour avoir compliqué à plaisir une situation par elle-même claire et resplendissante, pour avoir mis plus de