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confiance dans l’obscurité des calculs que dans la netteté des actions. Nous ne nous résignerons point à parler de M. de Lamartine aussi sévèrement que d’autres le font, qui se disent pourtant bien informés. Quels que soient les torts trop prolongés de sa politique, nous n’oublierons pas qu’il a eu un grand jour, un jour triomphant dans ces mois d’orages, lorsqu’il refoula si vaillamment la sinistre apparition du drapeau rouge. Ce seul jour suffirait à l’honneur de toute une vie. Il peut donc couvrir bien des fautes.

Depuis la chute de la monarchie, le général Cavaignac est la seconde personne que le pays ait ainsi saluée d’entrain comme le dépositaire suprême de ses destinées. Nous lui souhaitons meilleure chance qu’à M. de Lamartine, et surtout une conduite plus ouverte. Le général arrive d’Afrique : personne ne saurait juger d’avance l’aptitude particulière qu’il développera dans les choses de gouvernement ; mais il annonce tout d’abord une grande droiture de caractère, et la droiture de caractère, dans les temps difficiles, est encore une garantie plus précieuse que l’étendue des intelligences. Républicain de vieille date, fils et frère de soldats républicains, le général Cavaignac n’a pas cru qu’il fût indispensable au salut de la république de lui tirer tous ses serviteurs d’une même petite église. Il est noblement allé chercher ses anciens supérieurs de l’armée d’Afrique pour en faire les membres de son gouvernement. Le général Changarnier va commander la garde nationale de Paris, le général Lamoricière est ministre de la guerre ; le général Bedeau, malgré la blessure qui le retient au lit, accepte les affaires étrangères, où il remplace M. Bastide, déporté, jusqu’à nouvel ordre, à la marine, si celui-ci toutefois a le courage de recommencer l’apprentissage d’un second ministère, quand il avait tant de peine à ébaucher une première éducation. M. Bastide est un esprit honnête et timoré, qui garde assurément le pouvoir par conscience, et qui, par conscience, le déposera quand il faudra. L’assemblée s’est un peu étonnée que M. Lacrosse, aux yeux de certaines gens, fût encore trop républicain du lendemain pour prendre dans le nouveau cabinet un département auquel il semblait appelé. En revanche, tout le monde se félicite du choix de M. Tourret (de l’Allier), qui a l’esprit vif et sain, qui passe pour très expert en agriculture, et qui est fort aimé de tous ses collègues de l’ancienne opposition. M. Goudchaux a trop rudement combattu les erreurs de son prédécesseur aux finances pour que son arrivée ne rassure pas déjà le crédit. La nomination de M. Sénard au ministère de l’intérieur est, pour ainsi dire, le sceau que le pouvoir exécutif a mis sur la dernière proclamation rédigée par le président de l’assemblée nationale ; c’est un gage qu’on a voulu donner aux amis de l’ordre, aux défenseurs des principes souverains de la société.

Somme toute, le cabinet formé par le général Cavaignac est évidemment en progrès sur les combinaisons politiques qui l’ont précédé depuis quatre mois ; il est à la fois, chose remarquable, plus homogène et moins exclusif ; il se compose tout entier de gens parfaitement respectés ; il est très possible qu’il se modifie successivement, qu’il se renouvelle petit à petit dans telle ou telle de ses portions. Nous désirons qu’il se renouvelle sans tomber, nous désirons qu’il dure, à la condition qu’il se pénètre chaque jour d’un esprit plus large et plus impartial, soit vis-à-vis des affaires, soit vis-à-vis des personnes. Il à une tâche immense à remplir ; il a l’ordre et la paix à remettre partout ; il a partout et par-dessus tout la justice à rendre, une bonne et sévère justice que le pays attend