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d’entretenir des armées permanentes, avec la volonté et le pouvoir de se mêler aux mouvemens généraux de l’Europe, avec toutes les passions des grands états : depuis le désir de briller jusqu’à l’ambition de conquérir.

Que tout cela, en soi, puisse être beau, généreux, séduisant, je suis loin de le contester ; que le Rhin retentisse des acclamations des fils d’Hermann, que les Alpes nous apportent l’écho des transports des Italiens, que les Suisses même s’en applaudissent, malgré ce qu’ils y perdent de pittoresque originalité, cela est parfaitement naturel ; que ce mouvement soit même un honneur pour notre siècle, et qu’à ce titre le public français, ami désintéressé de l’humanité et fidèle à son généreux caractère, le suive de ses sympathies, sans faire retour sur ses propres intérêts, je le conçois à merveille ; mais de plus austères devoirs sont imposés aux hommes qui gouvernent leur pays. Des admirations irréfléchies ne doivent pas leur tenir lieu de politique. Une nation peut s’oublier elle-même ; son gouvernement doit veiller pour elle, et nous serions en droit de demander au nôtre, si nous savions où le prendre, de quelles précautions il s’est muni pour que la formation de ces trois corps politiques qui se dressent à nos portes ne soit pas un jour, pour notre puissance, la source de rivalités dangereuses ?

À cette question, je sais bien qu’on peut me répondre que ce sont là des craintes surannées, qui doivent disparaître devant l’essor des idées nouvelles, et que ce qu’on pouvait craindre de la part d’états gouvernés par l’absolutisme n’est point à redouter de la part des mêmes états affranchis. Comme si, encore une fois, des états étaient naturellement alliés par cela seul qu’ils sont soumis au même régime intérieur ! À ce compte, au temps de Louis XIV, il n’y aurait pas eu de guerre en Europe, car tous les états étaient monarchiques. Il n’y en aurait pas eu non plus au moyen-âge, car la féodalité régnait partout. Ne se déshabituera-t-on jamais de ces maximes banales, par lesquelles on prétend s’élever au-dessus de la complexité des passions humaines, et on s’arrange seulement pour être pris au dépourvu par elles ? On compte aussi, il est vrai, sur je ne sais quelle vertu fraternelle des idées démocratiques qui doit fondre les rivalités nationales et faire disparaître, comme ou dit sérieusement dans le langage du jour, l’importance des frontières ; mais où sont les enfans qu’on prétend bercer de pareilles chimères ? À quelque épreuve qu’on ait mis notre bon sens depuis six mois, il n’est pas encore devenu si élastique, qu’il laisse passer de si pompeuses niaiseries. Il y a entre les espérances de paix universelle par la diffusion des idées démocratiques et les systèmes de bien-être général par l’égalité des fortunes je ne sais quel air de famille qui n’est pas plus rassurant pour la grandeur que pour la richesse nationale. Où a-t-on jamais vu dans l’histoire que les institutions démocratiques