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heureux retour à la confiance, jugea convenable de faire profiter l’état du bénéfice de la hausse des fonds, et, tout en proposant de rendre la conversion obligatoire, demanda l’adoption du taux de 76 francs en rente 5 pour 100. Dans cette triste séance, dont le souvenir pèsera long-temps sur les destinées du pays, le ministre montra une faiblesse bien blâmable, puisqu’elle détermina l’adoption d’un taux de conversion beaucoup trop élevé, taux purement arbitraire, le cours extrême de la Bourse du jour, et même, pour la conversion des bons du trésor, on admit un taux supérieur de 7 à 8 pour 100 au taux le plus élevé de la rente 3 pour 100. Certes, s’il eût été dans la pensée de ceux qui proposèrent ces cours imaginaires de payer intégralement, de désintéresser scrupuleusement les créanciers de l’état, ils eussent réfléchi qu’après une hausse non interrompue et sans précédent dans les annales de la Bourse, de 10 à 15 pour 100 en huit jours, et lorsqu’on créait tout à coup 14 millions de rente 3 pour 100 et 21 millions de rente 5 pour 100, une réaction en baisse était inévitable : ils auraient trouvé juste de fixer le cours moyen plutôt que le cours le plus élevé de la Bourse, ou plus équitablement encore le taux moyen des huit derniers jours ; mais le ministre déclara qu’il croyait pouvoir maintenir pour la conversion des bons du trésor le taux de 55 sans manquer aux engagemens. Comment s’expliquer un pareil langage ? car n’était-ce pas manquer aux engagemens que de rembourser, en rentes au-dessus de leur cours, un capital qu’on s’était engagé à rembourser intégralement en espèces, en un mot de donner en paiement une monnaie à 7 ou 8 pour 100 au-dessus de sa valeur, monnaie menacée en outre, comme l’avenir l’a prouvé, d’une dépréciation beaucoup plus forte ? Aujourd’hui la rente perd 22 à 24 pour 100 sur le cours auquel on a contraint les créanciers de l’état à la recevoir en paiement de leurs titres. M. Goudchaux a, dans cette séance, manqué aux devoirs de sa position ; il n’a pas su défendre l’honneur du trésor, qui devrait donner l’exemple à tous les débiteurs de payer fidèlement et intégralement leurs dettes. Quelle leçon donnée, au nom de l’état, à tous les débiteurs ! Est-ce ainsi qu’un ministre, placé par ses fonctions au sommet de l’échelle sociale, doit enseigner au peuple le respect des engagemens ? Et, disons-le, la leçon est d’autant plus fatale dans un moment de relâchement moral comme le nôtre, où l’on devrait apprendre au peuple qu’il n’est pas digne de la liberté, s’il prend pour la liberté le droit de ne pas remplir ses devoirs.

Si M. Goudchaux fit preuve dans cette discussion d’une déplorable faiblesse, il faut avouer que, dans une autre occasion, il a montré une décision rare et une grande connaissance des affaires ; je veux parler de l’emprunt qu’il a dernièrement contracté. Il s’est habilement servi du désir qu’avaient les souscripteurs de l’ancien emprunt de rendre quelque valeur au talon de cautionnement, devenu nul par suite de la