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crise ou le commencement d’une autre ? la concorde qui revient ou la mêlée qui s’apprête ? Comment le savoir, et qui donc oserait prononcer ? Ce que nous savons bien, quant à nous, c’est que les garnisons allemandes ont été dernièrement renforcées sur notre frontière, c’est que l’on pousse avec une activité fiévreuse les fortifications des places fédérales, prussiennes ou bavaroises sut l’extrême ligne germanique, c’est que les arsenaux y sont pleins et les régimens au complet. Lorsque nous regarderons par-dessus les Alpes, n’oublions pas de tourner quelquefois la tête pour regarder aussi vers le Rhin.




LA GUERRE DES MAGYARS ET DES CROATES.
De l’Esprit publie en Hongrie depuis la révolution française, par M. A. de Gérando.[1]

Si extraordinaire que la situation actuelle de l’Europe orientale puisse paraître aux hommes peu versés dans l’étude de ces contrées, de tout ce qui s’accomplit sous nos yeux, rien n’est plus naturel : c’est la conséquence logique et nécessaire du travail infatigable, des écrits, des paroles et des actes de toute une génération de publicistes, de poètes et d’orateurs éminens. Parmi les événemens de ce temps-ci, il n’en est point qu’il fût plus facile de prédire. C’est en vain pourtant que quelques esprits curieux de l’inconnu, des voyageurs entraînés par le pressentiment ou par le hasard vers ces régions nouvelles pour la géographie politique, appelaient l’attention du gouvernement sur des questions destinées à devenir si graves ; la diplomatie, dupe de la routine, refusait de rien voir en dehors des états créés par les traités de Vienne ; elle niait l’existence d’une lutte entre ces races diverses, entre ces divers élémens sociaux qui se sentaient alors incompatibles, qui tendent aujourd’hui si fortement à se dissoudre, et d’où doit sortir un monde nouveau. Sera-ce au profit du despotisme ou de la liberté ? C’est désormais toute la question, car il n’est plus permis de nier le mouvement : les échos en viennent à chaque instant jusqu’à nous, et nous nous sentons forcés d’y prêter l’oreille, même au milieu de nos vastes et saisissantes préoccupations.

L’Europe orientale est en gestation, chacun le reconnaît. Les uns disent : Elle est menacée de donner naissance à un monstre, le panslavisme ; les autres affirment qu’elle contient le germe de plusieurs jeunes nations, du sein desquelles sortirait à son tour une liberté féconde. L’événement donnera raison à ceux-ci ou à ceux-là, suivant que la question qui contient dans ses flancs cette alternative aura été conduite dans un sens ou dans un autre, suivant qu’une main généreuse et habile lui aura imprimé une impulsion droite et élevée, ou que l’on en aura laissé la direction aux mains de la Russie.

Bien que les révolutions qui s’accomplissent sur les bords du Danube soient inspirées par un sentiment de progrès, bien qu’elles se fassent en haine du despotisme à Agram et à Prague comme à Pesth et à Bucharest, la Russie a su trouver son compte jusqu’à présent dans toutes ces affaires, qui ont été pour elle un instrument précieux de division et de guerre entre des populations dont elle pouvait craindre l’hostilité. Le sang des Tchèques de la Bohême et des

  1. Paris, rue Saint-Honoré, 315, chez Guiraudet, 1 volume in-8o.