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dit-il, je ne serai jamais prêtre pour trois raisons : j’aime l’honneur et non les honneurs, la philosophie et non le cilice, les femmes et non l’argent.

Il n’avait jusque-là porté que le nom de Nicolas. Il se baptisa lui—même du nom de Chamfort et se jeta à toute aventure dans les hasards de la vie littéraire. Il fut repoussé par les gazettes et les libraires. Sa mère n’avait pas de pain, il n’avait que des larmes à lui donner. Il rencontre un jeune prédicateur de ses amis qui allait à la cour. — Eh bien ! Nicolas, que dis-tu ? — Je fais un sermon à ma mauvaise étoile. — Tu sais faire des sermons, toi ? — Oui, écoute. Et Chamfort se mit à débiter une galante apostrophe à sa mauvaise fortune. — Ah ! que tu es heureux ! s’écrie le prédicateur ; moi qui ne trouve jamais rien à dire quand je monte en chaire ! Veux-tu faire mes sermons, je les prononcerai, car j’ai de la mémoire. — C’est dit : un louis par sermon.

Le prédicateur frappa dans la main de Chamfort. Il lui fallait un sermon par semaine. Ainsi vécut Chamfort durant près d’une année.

Il trouva quelques pages à écrire dans les gazettes, mais il était plus soucieux d’écrire dans le livre de la vie, ce beau livre qu’on entrouvre à vingt ans, et où l’on écrit avec une plume de flamme. Les folles et charmantes passions, les sirènes aux bras ouverts le saisirent et l’entraînèrent à tous les dangers. Il revint sur le rivage, mais abattu et ravagé, ayant aux premières secousses épuisé ses forces et arraché de son cœur tout le printemps de la vie. Comme Duclos, il avait élevé le château de cartes de l’amour au milieu des courtisanes, et, parmi les courtisanes, il n’avait même pas trouvé Madeleine pour pleurer avec lui sur la profanation de l’autel. Triste préface pour la vie d’un poète que cette jeunesse où rien de pur ne fleurit ! C’est la jeunesse de Piron or, telle jeunesse, tel poète. La Muse est une fille qui se souvient.

Tout en suivant dans la poussière le carrosse arrogant des courtisanes, Chamfort n’avait pas une seule fois rencontré la roue de la fortune. Il était plus pauvre que jamais. Il vivait seul, n’ayant pour toute hôtesse que la misère. L’usage alors, pour tout poète nouveau-venu, était de concourir pour un prix académique. C’était, pour ainsi dire, faire antichambre chez la poésie. Chamfort concourut : il fut médiocre et obtint le prix. Pour ce triomphe, dont il n’était pas fier, il fut recherché dans le monde, où, grâce à sa figure, il devint à la mode. Toutes les marquises prirent beaucoup d’estime pour un homme dont Mme la princesse de Cra… disait : « Vous ne le croyez qu’un Adonis, et c’est un Hercule. » Le XVIIIe siècle en était alors à son regain ; on fauchait à pleine faux la dernière moisson d’amour.

Il paraît qu’Hercule-Chamfort fut soumis a de trop rudes travaux, connue son aïeul, car, au bout de quelques années, nous le retrouvons, pour ses péchés, aux eaux de Spa, aux eaux de Barèges, partout où Cupidon s’était mis au régime et buvait de l’eau. Il revint à Paris, résolu