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du grand homme, guerre politique ; — la campagne de Russie, ou sa chute fut consommée, guerre politique ! Je n’en finirais pas, si je devais énumérer tous les désastres qu’ont enfanté les guerres politiques. Quand les populations seront comptées pour quelque chose, on ne fera plus de ces guerres-là. L’immortel Washington, dans ses Adieux, manuel de politique à l’usage de tous les gouvernemens qui feront cas de la liberté et qui aimeront le peuple, recommande qu’on s’en abstienne absolument. À ses yeux, c’étaient des entreprises qui naissaient : du vertige et qui enfantaient la ruine. La prospérité et la liberté n’ont eu en Amérique une marche si rapidement ascendante que parce que les conseils de ce père de la patrie avaient été religieusement suivis jusqu’à nos jours. Dernièrement les Américains s’en sont écartés ; la guerre qu’ils viennent de faire au Mexique, et qui d’ailleurs a été parfaitement honorable pour leurs armes, est leur première guerre politique ; mais de là semblent au moment de sortir des périls pour leurs libertés intérieures et pour le maintien même de leur confédération.

Il y a dans l’Amérique du Nord une question politique qui répond à ce qu’était chez nous la limite du Rhin. Je veux parler de la propriété du Canada. Le cours du fleuve Saint-Laurent, dont le Canada est la clé, a pour le territoire des États-Unis bien plus d’importance que le Rhin pour le nôtre. De tout temps, le vulgaire, aux États-Unis, a été facile à émouvoir au nom de la conquête du Canada ; il tressaille toutes les fois qu’on en parle. Les hommes d’état de l’Amérique ont-ils conclu de là qu’il fallait avoir en permanence une armée qui fût nombreuse et invincible, une année d’Austerlitz enfin ? Ils s’en sont bien gardés. C’est qu’en république, et sous le régime de l’égalité, quelque nom qu’il porte, les questions politiques qui doivent primer toutes les autres ne sont pas celles qui concerneraient en Europe le Rhin ou Constantinople, quelque prix qu’ait la possession du Bosphore, en Amérique la vallée du Saint-Laurent ou l’Orégon : ce sont celles qui touchent à l’avancement immoral, intellectuel et matériel des populations et à leur liberté. Je parle de la liberté vraie, et non pas de la fausse, pour laquelle notre nation est si prompte à se prendre d’un ardent amour. C’est ainsi qu’ont raisonné jusqu’à ce jour les hommes publics de l’Amérique du Nord.

Je ne suis cependant pas de ceux qui pensent qu’il soit possible de recommander aux nations européennes de supprimer leurs armées. C’est une bonne fortune toute particulière qui est échue aux États-Unis de pouvoir s’en passer presque entièrement. Je présume que dans l’histoire même de l’Amérique du Nord, le présent état des choses n’aura été qu’un accident, et qu’ils ne tarderont pas à avoir un effectif plus imposant par le nombre. J’admets, en tout cas, que les nations européennes ont besoin d’avoir une forte armée. Il y a un mot de M. Cousin qui exprime une vérité profonde, et sur lequel je crois qu’il