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serait possible d’édifier tout un traité de politique : La civilisation, a-t-il dit, est un composé de lumières et de force. La force qui doit accompagner les lumières, non-seulement pour que la civilisation ait de la puissance, mais pour qu’elle subsiste, prend différentes formes pour répondre à différens besoins. Un peuple avancé dans la civilisation doit être fort par le développement de son énergie industrielle, fort par la santé et par le tempérament robuste de ses populations. Il doit aussi être fort les armes à la main ; ce n’est qu’à cette condition que son gouvernement est respecté au dehors et même au dedans, car c’est un des effets de notre nature qu’en politique il n’y a pas de respect, s’il n’a plus ou moins de crainte. Quand Napoléon, dans ses réflexions sur la bataille de Wagram, a dit que, dans la supposition de telle issue qu’elle aurait pu avoir ; il n’y aurait plus eu d’empire d’Autriche, parce qu’il n’y aurait plus eu d’armée autrichienne, il énonçait une pensée qui doit indéfiniment demeurer vraie dans la politique européenne, et qui, de nos jours du moins, est d’une exactitude parfaite. L’Autriche en fait bien l’épreuve de nos jours. C’est l’armée autrichienne qui sauve l’empire.

Certes, les armemens immenses que les princes de l’Europe ont maintenus en pleine paix, depuis 1830 particulièrement, étaient abusifs. Quatre cent mille hommes de troupes étaient trop pour la France, surtout du moment qu’en présence de la sédition finale on devait ne pas s’en servir. Le fardeau était excessif pour le pays. C’est là le côté condamnable de l’administration de juillet. Il ne faut rien outrer. Une armée est nécessaire : qu’on l’ait tout juste comme il la faut.

Mais, une fois reconnue la nécessité d’une armée, s’ensuit-il qu’on doive infliger aux populations la charge de la conscription qui enlève à leurs familles, à leurs carrières, à l’industrie nationale, la majorité des jeunes gens des classes pauvres pendant sept années ? Sans être un novateur téméraire, on peut contester que la conscription soit indispensable à l’effet désiré.

Et ici, ce n’est pas l’Amérique seulement que j’appellerai en témoignage, c’est une nation européenne, notre plus proche voisine, une nation qui a su mieux que toute autre allier les lumières et la force, afin d’en tirer ce composé merveilleux qui est la civilisation même, une nation qui aime la paix, et qui pourtant et plus conquérante en ce moment qu’aucune autre, l’Angleterre enfin. L’Angleterre n’a que l’enrôlement volontaire, et son armée n’en est pas moins solide. Elle a des soldats tant qu’elle en veut. À cela on réplique que l’Angleterre est une île ; mais, insulaire ou continentale, en a-t-elle moins à contenir l’insubordination menaçante de l’Irlande ? Est-ce que l’Angleterre n’a pas dans tous les quartiers du globe des possessions innombrables dont Plusieurs sont difficiles à garder comme de vastes états ? Est-ce qu’elle