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mourir avant eux ; son ami de Thiou, qu’il poussait dès-lors vers l’échaland ; les maréchaux de la Meilleraye, de Brézé, de Schomberg, de la Motte-Houdancourt ; le vicomte de Turenne ; le duc d’Enghien, dans lequel on sentait déjà le prince de Condé ; le duc de Mortemart, père de Mme de Montespan, et cent autres, blanchis dans les camps et les intrigues des cours, ou insoucians, inexpérimentés, destinés à inaugurer le siècle de Louis XIV, voilà ce qui se pressait au camp de Perpignan : les uns, quittant le bal pour voler au combat et n’ayant de souci que celui de rapporter aux pieds de leurs dames leurs blessures ou leurs trophées ; les autres, l’esprit tendu vers l’issue des drames sanglans dont les fils invisibles se croisaient au travers de ce monde brillant. Nous étions à la veille de recueillir les fruits des travaux de deux règnes mais la main qui les dirigeait était déjà saisie du froid du tombeau et l’approche de grands événemens n’avait jamais paru si périlleuse.

Le drapeau de Castille ne flottait plus de ce côté des Pyrénées que sur les murs, de Perpignan, et la destinée du Roussillon semblait attachée à la sienne. Malgré les succès de nos généraux, la présence du roi, la prévoyance du cardinal, le siége, qu’il était si pressé de finir, traînait en longueur. Le 2 février, lorsque la ville n’avait plus, suivant le maréchal de Brézé, que pour deux jours de vivres, les Espagnols la ravitaillaient par Port-Vendres. Vainement Brézé prétendait-il, pour se faire pardonner cet échec, que les assiégés eux-mêmes n’en désespéraient pas moins de la place : « Tarracause, Mortarra, disait-il, s’en sont allés, de sorte qu’il n’y reste plus pour chefs que Flores d’Avila qui est une pauvre espèce d’homme, et don Diego Cavallero ; qui est malade et blessé… – Ils n’ont pas pour quatre mois de blé et rien autre chose[1]. » Flores d’Avila se vengeait de ces dédains par l’énergie de sa résistance, et six mois plus tard on lui rendait plus de justice. « Ceux de Perpignan, écrivait le maréchal de Schomberg le 22 août, se trouvent extrêmement pressés ; quoiqu’ils souffrent avec une grande constance. Lundi dernier, une femme déroba, tua et mangea un enfant de trois ans, et deux hommes de l’hôpital furent pendus aussi bien qu’elle ce même jour, pour avoir achevé d’étouffer des mourans et en avoir vendu et mangé la chair. Il n’y a plus que vingt-sept charges de blé (3,456 kilogrammes) dans la place, dont ils ont donné dix-huit à l’hôpital et ont partagé les neuf restant entre les chefs et officiers, prétendant faire manger aux soldats la marsamore et le biscuit qui leur restent en petite quantité. Ils n’avaient plus avant-hier que dix-sept chevaux, dont ils veulent garder cinq pour les cinq officiers-majors »

  1. Archives des affaires étrangères.